SOMMAIRE DE L'HOMÉLIE
La révolution économique... " ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement..."
Pourquoi limiter ce principe au spirituel ?
1°) Pourquoi quelqu'un qui a plus reçu au départ aurait-il le droit, de ce simple fait, d'avoir une vie plus facile ?
- exemples : robuste... intelligence...
- Si Dieu a voulu l'inégalité au départ,
c'est pour que l'égalité ait valeur morale...
- Saint Paul dit que les dons et talents sont donnés
par Dieu pour "l'utilité commune"...
- Le drame au point de vue social : c'est que nous nous
croyons autorisés à garder égoïstement ces avantages...
2°) Jésus a voulu que nous formions une famille... donc, le plus démuni a droit être plus entouré.
- Jésus l'a dit...
- Saint Pierre...
- L'Epître à Diognète (2ème
s.)
- Saint Paul : La quête pour les frères
de Jérusalem...
- Exemple dans les Actes des Apôtres... mise en
commun...
3°) Conclusions pratiques :
- travailler à faire passer cet esprit
et ce principe dans la société.
- en attendant, corriger les conséquences de ce
système économique faussé.
= Jésus...
= Saint Thomas d'Aquin...
- appliquer ce principe entre nous qui devons être les prémices de ce monde fraternel. Quelques exemples...
HOMÉLIE
LA REVOLUTION, LA VRAIE REVOLUTION ECONOMIQUE, LA VOILA... ! " Vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement !"
Ohé ! alignez-vous tous, systèmes économiques, socialistes, communistes ou autres... alignez-vous...! Qui dit mieux...? Vous êtes tous dépassés, enfoncés ! Essayez d'appliquer ce principe dans notre société, vous verrez à quelles réformes il vous entraînera...
Sans doute sur les lèvres du Christ et dans le contexte, il s'agit d'abord que les Apôtres se fassent payer pour l'enseignement qu'ils donneront et qu'ils ont reçus eux-mêmes, gratuitement du Christ !
Mais, pourquoi limiter l'application de ce principe général à ce domaine spirituel... ? Pourquoi ne vaudrait-il pas aussi dans le domaine matériel ? Dites-moi, pourquoi ...?
Pourquoi quelqu'un qui a reçu gratuitement et uniquement par chance une nature solide et robuste, aurait-il de ce simple fait le droit, sa vie durant bien plus que celui qui n'a hérité que d'une nature fragile ? Si tous les deux travaillent, le premier pourra, sans se fouler, abattre une besogne, double peut-être de celle que pourra fournir le second en s'éreintant et recevoir ainsi un salaire double de celui du plus faible ; et alors que celui-ci aura peut-être juste de quoi sustenter sa famille, l'autre pourra mettre de côté, capitaliser, prêter à intérêt ; çà fera boule de neige... et leurs "standings" respectifs s'éloigneront de plus en plus...
De même, celui qui a reçu gratuitement de la nature une grosse tête ou tout simplement qui a eu la chance que ses parents puissent lui payer des études, pourra gagner bien plus que celui qui est moins intelligent ou qui a eu la malchance d'avoir une tête dure ou de ne pas avoir des parents assez aisés pour assurer sa subsistance durant des années d'études... ; et là encore, l'inégalité de départ ne pourra que s'accroître...
Oui, il est évident que Dieu a mis au point de départ une inégalité de dons et de talents entre les hommes. Il n'a pas voulu que l'égalité soit un "donné", soit du " tout cuit " afin qu'elle ait valeur morale et vienne de notre coeur, de notre liberté ; et aussi, pour que nous nous sentions ainsi solidaires, que nous ayons besoin les uns des autres.
Saint Paul dit expressément en parlant des charismes, c'est-à-dire de ces dons extraordinaires donnés gratuitement par Dieu à l'aurore du Christianisme, "qu'ils ont été répartis diversement par l'Esprit Saint mais qu'ils ont été donnés à chacun "en vue de l'utilité commune". (lère aux Corinthiens, ch.12,v.1).
Là encore, il n'y a aucune raison de ne pas étendre ce principe à tous les dons de la nature et de la grâce reçus gratuitement de Dieu. Dès lors, celui qui s'arroge tous les avantages de ces dons qu'il a reçus par pure chance au bien qui entend en tirer un profit pécuniaire quand il les met au service des autres, celui-là vole son prochain, tout comme je pourrais être taxé de voleur et d'escroc si je détournais à mon profit les dons qui me sont faits pour les enfants de nos colonies de vacances...
Le drame au point de vue économique et social, ce n'est pas tant qu'il y ait des gens qui cherche à rouler, exploiter les autres : ceux-là, ils ont mauvaise conscience et ils le savent... Le drame, c'est qu'il y ait tant d'âmes droites, tant de gens de bonne volonté qui se figurent que, parce qu'ils ont été avantagés au point de départ, sans aucun mérite de leur part mais gratuitement et par chance, ils ont, de ce seul fait, le droit de conserver égoïstement pour eux tous ces avantages, qu'ils ont le droit, de ce seul fait, d'avoir une vie plus facile et plus agréable que les autres.
Autre chose : pour admettre que celui qui a eu la chance d'avoir plus au départ a, de ce simple fait, le droit d'avoir de plus en plus sa vie durant, il faut admettre le principe du "chacun pour soi". Mais croyez-vous que cela soit admissible si nous formons une famille. ?...
Dans une famille, c'est le plus petit, le plus démuni, le plus handicapé qui est roi. Ses parents et même ses frères et surs sen occupent plus que de tous les autres. S'il y a un avantage, ce sera toujours pour lui.
Or Jésus a voulu que ses disciples forment une famille. C'est pourquoi, dans ce chapitre 18ème de son Evangile, où Saint Matthieu a groupé toutes les caractéristiques de l'Eglise que Jésus a voulu fonder, la première qui est mentionnée, c'est que chez nous, ses disciples, c'est le plus petit qui doit être le roi. Tout ce que l'on fera pour ce plus petit, Jésus le considérera comme fait à Lui-même. (Matthieu, ch.18,v.5 cf aussi ch.25, v.40-45)
Jésus dira du reste, à plusieurs reprises, que celui qui se croit supérieur aux autres dans un domaine quelconque doit se mettre au service de ses frères. (cf Matthieu ch.20,v.26 - ch.23,v.11 - Marc ch.10,v.43 - Luc ch.22,v.24-26)
C'est pourquoi Saint Pierre, dans sa première lettre, écrira : "Chacun, selon la grâce (c'est-à-dire selon le don gratuit) qu'il a reçue, mettez-vous au service les uns des autres comme des bons intendants des multiples grâces (c'est-à-dire des multiples dons gratuits) de Dieu." (ch.4,V.10)
L'Epître à Diognète, document chrétien du 2ème siècle, découvert assez récemment, traduira la même idée dans cette formule lapidaire : "Celui qui.... dans le domaine où il a quelque supériorité, veut en faire bénéficier un autre moins fortuné moins chanceux), celui qui donne largement à ceux qui en ont besoin les biens qu'il a pour les avoir reçus de Dieu... celui-là est vraiment un imitateur de Dieu." (Epître à Diognète X,5-6)
Aussi Saint Paul demandera aux chrétiens de s'entraider mutuellement comme il en va des divers membres de notre corps (lère aux Corinthiens, ch.12, v.4-27).
C'est pourquoi lorsque ce même Apôtre quête à travers les diverses communautés qu'il a fondées pour venir en aide aux frères de Jérusalem spoliés par la persécution, il invoque ce même principe d'égalité qui doit être le principe économique de la famille de Dieu comme de toute vraie famille. Ecoutez ce passage : "Il ne s'agit point pour soulager les autres de vous réduire à la gêne, ce qu'il faut, c'est l'égalité. Dans le cas présent votre abondance va pourvoir à leur dénuement pour que leur abondance puisse, un jour aussi, pourvoir a votre dénuement. Ainsi régnera l'égalité selon ce qui est écrit : "Celui qui avait beaucoup recueilli n'eut rien de trop, et celui qui avait peu recueilli ne manqua de rien." (2ème aux Corinthiens, ch.8,v.,13-15).
Aussi bien Saint Luc, dans les Actes des Apôtres, nous dit que les membres de la première communauté chrétienne, spontanément, mettaient tout en commun, comme si cela allait de soi pour des disciples du Christ ; ainsi, personne parmi eux n'était dans le besoin. (Actes, ch.4,v.32-37).
Au milieu du second siècle, Saint Justin reprendra ces idées dans son Apologie des chrétiens qu'il adresse à l'empereur Trajan : "Ceux qui ont du bien viennent en aide à ceux qui ont besoin et nous nous prêtons mutuellement assistance. Ceux qui sont dans l'abondance et qui veulent donner, donnent librement, chacun ce qu'il veut." (n° 67)
Notez bien cette expression : "que chacun donne librement". Dieu, avons nous dit, a voulu que l'égalité ait valeur morale, qu'elle vienne de notre liberté, de notre cur. Les Apôtres respecteront cette intention divine.
Saint Pierre le soulignera dans le cas d'Ananie et de Saphire. "Quand tu avais ton bien, n'étais-tu pas libre de le garder ? et quand tu l'as vendu, ne pouvais-tu pas disposer du prix à ton gré ?" (Actes, ch.5,v.4). Aussi bien, si Pierre les punit, ce nest pas parce qu'ils n'ont pas tout donné, mais parce qu'ils ont menti.
De même Saint Paul, lorsqu'il quête pour les frères de Jérusalem tombés dans le dénuement, précise : "Que chacun donne selon l'inspiration de son cur et non d'une manière chagrine ou contrainte." (2ème aux Corinthiens,ch.9,v.7)
Cette économie chrétienne suppose donc toute une mentalité, tout un esprit, un esprit de charité et de fraternité, que nous avons justement la charge de propager de plus en plus.
Cela nous indique dans quel sens doit aller notre action sociale. Agir de toute notre énergie pour que cette mentalité fraternelle pénètre tous les esprits et pour que le principe : "ce que vous avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement", inspire toutes les réformes.
En attendant l'avènement de cette mentalité et l'application de ce principe, le chrétien doit essayer, pour sa part, de rétablir l'équilibre. Si dans notre monde d'aujourd'hui un chrétien bénéficie d'un système économique qui l'enrichit indûment, quand, par exemple, de par le jeu faussé de l'économie, il gagne facilement 3 ou 4 fois ce que tel autre, à cause de ce même système, arrive à peine à fournir à sa famille, ce chrétien, dis-je, doit rétablir l'équilibre et corriger dès à présent, pour sa part, cette répartition injuste et antifraternelle en versant une partie de son avoir à celui qui est désavantagé sur toute la ligne.
Cette correction d'un système économique faussé, Jésus l'exige : "Malheur à vous, Pharisiens, hypocrites, disait-il, qui purifiez l'extérieur de la coupe et de l'écuelle alors que son contenu est le fruit du vol et l'aliment de votre intempérance... Versez plutôt en aumône ce contenu et tout pour vous sera purifié." (Matthieu, ch.23,v. 25 - Luc, ch.1l, v.41).
Oui, le chrétien doit donner à celui qui a moins que lui. Il doit partager. Ce n'est pas là pour lui quelque chose de facultatif , puisque cela met en cause son salut éternel. Rappelez-vous la parabole du riche et du pauvre Lazare. Ce riche n'a fait aucun mal à ce pauvre Lazare, il l'a seulement laissé dans son dénuement et, de ce simple fait, il est condamné, Jésus l'a dit, à l'enfer (Luc,ch.16,v.19-31). Songez à cette terrible parole du Seigneur : "Il est plus facile de faire passer un câble à travers le chas d'une aiguille que de faire entrer un riche dans le ciel." (Luc,ch.18,v.25). Tant il est difficile à un riche de pratiquer le dépouillement indispensable pour y avoir accès. Il est bien évident que le Seigneur aurait fameusement exagéré si le Monsieur pouvait s'en tirer avec une simple aumône prise sur son superflu.
Dans l'esprit chrétien, cette aumône n'est pas une condescendance humiliante du riche vis-à-vis du pauvre. C'est un devoir de justice, d'équité et de charité. C'est un droit du pauvre. Saint Thomas d'Aquin, le grand théologien de l'Eglise, disait déjà au 13ème siècle que chacun peut garder pour lui et sa famille le minimum vital. Quant à ce qui est nécessaire pour vivre selon sa situation, il peut le garder à moins qu'il n'y ait à ses côtés quelqu'un qui n'a pas le minimum vital pour lui et sa famille, auquel cas il doit prendre sur ce nécessaire de situation. Pour ce qui dépasse ce nécessaire de situation, il le doit aux pauvres en stricte justice et il les vole s'il ne leur donne pas ce supplément d'une manière ou de l'autre...
Enfin nous devons essayer déjà d'appliquer ce principe entre nous, car nous devons être comme " les prémices " (les premières réalisations) de ce monde nouveau et fraternel que Jésus est venu instaurer. Voici pour nous encourager quelques exemples de résultats auxquels a abouti, dans certaines de nos paroisses, la prédication constante de cette " économie " évangélique :
Plusieurs chrétiens, spontanément, ont pris l'habitude de verser, chaque mois, de façon tout à fait anonyme, une certaine somme prélevée sur leur salaire, à telle ou telle famille moins favorisée...
Telle personne, ayant contracté une terrible maladie en faisant de la résistance, me demandait de lui indiquer une autre personne, plus malheureuse qu'elle, avec laquelle elle pourrait partager la pension que le gouvernement venait de lui verser.
C'est en appliquant ce principe d'économie chrétienne que nous avons pu construire 48 pavillons pour faire face à la crise du logement ; au moment où elle sévissait le plus durement. Des chrétiens plus fortunés avaient avancé gratuitement les capitaux. Tous les membres de la communauté chrétienne étaient invités tous les dimanches à venir apporter leurs bras durant la journées Un ancien chef scout qui avait réussi à construire sa maison, mit ses compétences au service de ces sans-abri... Ce témoignage d'union, d'entente, de souci d'entraide fraternelle, eut un très grand retentissement dans toute la commune...
Dans une salle, tout contre notre église, nous avions organisé une "banque d'entraide et de charité". Au sortir de la messe, les paroissiens qui pouvaient disposer quelques heures de liberté au cours de la semaine, pouvaient aller y demander de l'embauche pour donner un coup de main ici ou là, comme ceux qui avaient connaissance de telle ou telle détresse, pouvaient aller le signaler. Lors de l'augmentation des salaires (10%) en 1968, un groupe de chrétiens vient me trouver : "Père, nous gagnons déjà bien notre vie. L'augmentation pour nous sera d'autant plus importante alors que nous connaissons des gens dont le salaire est très modique et pour lesquels l'augmentation de 10% ne représentera pas grand chose. Ne croyez-vous pas qu'il nous faudrait partager pour être fidèles aux principes que vous nous avez inculqués ?" Et le dimanche suivant au moment de l'homélie, l'un de ces chrétiens expliquait ce point de vue à l'assemblée de ses frères. Ainsi fut créée une messe mensuelle de partage où chacun apporte, sous pli anonyme, le montant de cette augmentation qui est ensuite répartie également entre tous... Ce geste est parvenu aux oreilles des communistes qui en ont discuté lors d'une de leurs réunions, assez surpris qu'il émane de chrétiens...
Voici comment un père de famille, toujours en s'inspirant de ces mêmes principes, établissait son budget : "Je multiplie le chiffre officiel du minimum vital par le nombre de personnes à ma charge. Cela constitue un plancher de dépenses incompressibles. Je considère que le reliquat me situe dans une situation privilégiée. Ce reliquat, est-il à distribuer intégralement ? Non, mais je crois que je n'ai pas pleins pouvoirs sur lui et qu'à son sujet, j'ai des comptes à rendre à Dieu et à la Communauté. J'affecte ce revenu d'un coefficient de redistribution et cette redistribution, je l'opère soit sous forme de don, soit sous forme de prêt sans intérêt ."Ce papa n'applique-t-il pas, sans le savoir sans doute, mais de par son " instinct chrétien ", disons mieux, sous l'action du Saint Esprit, la doctrine même du grand Saint Thomas d'Aquin que je citais tout à l'heure
Un dernier exemple que je ne puis m'empêcher de citer avec une certaine émotion.
J'étais alors curé de l'Haÿ-les-Roses. Une veille de communion, une humble baraque de planches avait flambé, alors que toute la famille était au cinéma. Tout le mobilier avait été détruit et brûlée aussi la paye du père rapportée ce jour-là même. J'ai dit à tous les chrétiens rassemblés pour la cérémonie :"il faut faire quelque chose, c'est un devoir pour nous." Tout le monde s'y est mis. On a apporté de la vaisselle, des meubles, deux camions de briques pour reconstruire la maison en dur, on a recueilli bien plus que la paye du papa... Ces gens-là, qui étaient communistes, ont été si touchés qu'aux vacances suivantes ils ont envoyé leur gars de 15 ans à notre colonie. Or, ce gars qui n'avait jamais été à la campagne, à peine arrivé, a fait le mur pour aller se baigner dans l'Isère et... il s'est noyé ! Vous comprenez notre angoisse... ! Pendant de longs mois j'ai fait une dépression et j'ai été alité... Or, ceux qui ont veillé peut-être le plus à ce que me soient donnés tous les soins, c'est le père et la mère de cet enfant... ! Ils avaient été bouleversés par le témoignage de la charité chrétienne, ils ne pouvaient douter que nous n'ayons tout fait pour leur enfant...
Voilà ! QUAND LA CHARITE CHRETIENNE SE CONCRETISERA ET RENTRERA DANS LE DOMAINE MATERIEL, ANNONCIATRICE D'UN MONDE FRATERNEL, ELLE SERA IRRESISTIBLE...