Année A – 19ème dimanche ordinaire


Retour au menu 

 

SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

Jésus, par son attitude dans cet évangile, semble raison à ceux qui " s’évadent " dans la prière…

Pourtant, il nous fait un devoir sous peine de compromettre notre salut éternel, de nous préoccuper du bien-être temporel de notre prochain…

De fait, les évangélistes nous montrent souvent Jésus en prière… surtout aux moments décisifs de sa vie...

I. Pour lui, il veut que la révolution économique, elle-même, soit valeur morale et soit le fruit d’un amour des autres qui supprime de nos cœurs l’égoïsme

Pour ce retournement, il faut la grâce de Dieu… et celle-ci s’obtient par la prière.

A plus forte raison pour ouvrir les cœurs à l'appétit du spirituel et du surnaturel, il ne suffit pas de s’être occupé du bien-être matériel des gens, il faut que Dieu suscite en eux cet appétit... encore peuvent-ils résister à cette grâce...

II. La prière est encore nécessaire si nous voulons agir en chrétien, à la façon de Jésus-Christ...

Pour cela, il nous faut nous plonger en lui... nous souder à lui...

C'est te rôle du recueillement (= du silence devant Dieu) auquel doit conduire toute prière pour être vraie...

Nécessité pour cela d’un environnement favorable :

exemple de Jésus

applications pour nous...

 

 


HOMELIE

 

BON ! POUR LE COUP, NOUS VOILA BIEN !!!, c'est le Seigneur Lui-même qui donne le mauvais exemple à ses disciples en s’évadant de la foule, de la masse, de l'action politique (on allait le faire roi, nous dit Saint Jean) pour se réfugier dans la prière... !

Dimanche dernier, nous faisions état de ce reproche adressé aux chrétiens de déserter l'arène où se joue le combat pour la justice en se réfugiant dans leur vie sacramentelle et rituelle, dans leur vie de prières. Aussi disions-nous, beaucoup de prédicateurs aujourd'hui leur demandent de renverser la vapeur et de laisser de côté prières et sacrements au bénéfice d'une vie plus engagée dans action sociale et politique...

Qui donc a raison...?

Dans cet évangile, le Seigneur, à première vue, semblerait, par ton exemple, donner raison aux premiers... et pourtant, nous l'avons vu, C’est lui-même qui nous demande, en mettant en cause notre salut éternel, de veiller à aider le prochain même matériellement parlant, départager avec lui...

Quoi ! Seigneur, par ce miracle de la multiplication des Pains tu sembles être arrivé au but. Dans son enthousiasme, cette foule voulait, nous dit saint Jean, Te porter au pouvoir, Te faire roi ! Roi, Tu aurais pu changer les structures, les lois, les rendre plus justes, supprimer les inégalités criantes.. Tu n'as pas voulu... ! A cette foule que ce miracle T'avait accrochée, à cette foule qui avait été touchée par Ton souci de ne pas la laisser s'en aller à jeun, Tu aurais pu maintenant leur parler de Ta religion. Celle-ci, vue à travers son fondateur, ne pouvait lui apparaître étrangère à ses préoccupations et à ses besoins temporels, matériels. Non ! il semble que pour Toi, tout n'était pas gagné et la suite, du reste, montrera bien que Tu avais raison et qu'il ne suffit pas de faire du bien temporel pour les rendre, de ce simple fait, ouverts au spirituel... Tu le savais et c'est pourquoi Tu pars, Tu pars pour prier... à l’écart.

La prière !, aux dires des évangélistes, elle précédait et accompagnait toujours tous les événements capitaux de la vie de Jésus :

Il sait, Lui, que même pour promouvoir une réforme économique, il ne suffit pas de changer des structures ou de faire des lois, ce sont les cœurs qu'il faut changer.

D'autant, il faut le redire encore, qu'Il veut que ce partage soit le fruit de l'amour et non une contrainte… Il veut qu'il ait valeur morale. C'est même pour qu'existe cette valeur morale qu'il a fait l'homme libre. " Que chacun donne selon l'inspiration de son cœur et non d'une manière chagrine ou contrainte " dira Saint Paul aux Corinthiens à propos de la collecte qu'il a organisée pour venir en aide aux frères de Jérusalem (2ème aux Corinthiens, ch. 9, v.1).

Or nous avons pu voir dans ce récit de la multiplication des pains, combien est fort cet égoïsme humain. Malgré les ordres du Seigneur, seul un jeune garçon a accepté de partager ; les autres ont refermé leurs entrailles, les autres ont camouflé vraisemblablement ce qui pouvait leur rester pour le garder jalousement pour eux.

Oui, pour arriver à cette égalité, fruit de la charité et fruit de l’amour, il faut changer les cœurs, les mentalités, et ce changement demande une grâce intérieure de Dieu… et cette grâce, c’est la prière qui l’obtient.

A plus forte raison, qui donc pourra mettre dans ces âmes engluées dans le matériel une aspiration surnaturelle, spirituelle ? Qui pourra les sortir de cette absorption par les soucis matériels ? Pour s'élever au dessus de tout cela, plus que jamais il faut la grâce de Dieu.

Jésus certes, profitera de l’enthousiasme suscité par ce miracle de la multiplication des pains pour parler à cette foule d'un autre pain, d'une autre nourriture plus nécessaire encore, celle de l'âme. Mais ces cœurs alors resteront fermés, seront déçus ; ces gens tourneront les talons, lorsque Jésus leur parlera de cette invention de la folie de son amour, la Sainte Eucharistie.

Voilà la première raison de la nécessité de la prière si nous voulons que notre action soit efficace. Pour que nos efforts extérieurs trouvent un écho au fond des cœurs, il faut que la grâce les travaille et suscite en eux un appétit qui corresponde à ce que nous proposons extérieurement.

Voilà maintenant la deuxième raison de cette nécessité. Elle n'existait sans doute pas pour le Seigneur puisqu'étant le Fils de Dieu, sa nature humaine était indissolublement et continuellement unie à la divinité.

Mais il a voulu quand même nous donner l'exemple.

Pour pouvoir agir nous-mêmes de façon authentiquement chrétienne et surnaturelle dans toutes nos actions, jusque et y compris dans notre action sociale ou même politique, il faut nous mettre sous l'INFLUENCE de DIEU, sous l'emprise de Dieu. Et c'est là la deuxième raison de la nécessité de la prière, la raison pour laquelle, dans la mesure même où nous voulons être des hommes d'action, nous devons être des hommes de prière. La prière, je le redis, c'est le plongeon en Dieu, c'est la "prise" qui nous branche sur Dieu, qui établit le contact avec Lui, qui nous met sous l'emprise de Dieu. Sans cela notre action demeurera tout humaine avec toutes les failles, tous les défauts que cela comporte et qui viendront contrecarrer Inefficacité de cette action par ce relent de trop humain qu'ils lui donneront.

Mais il faut là encore rabâcher : La prière qui établit ce lien, cette soudure avec Dieu, c’est avant tout la PRIERE de SILENCE et d'adoration. A vrai dire, c’est cela seulement qui est prière. Tout le reste, chants, prières vocales, cérémonies., n'a que valeur incantatoire et n'est là que pour nous mettre en condition, pour créer l'atmosphère favorable à ce silence en présence de Dieu.

Je crois avoir eu déjà l’occasion de vous le dire : il est frappant de constater comment notre Père Saint Benoît, lui-même, dans sa Règle, distingue nettement l'Office divin, c'est-à-dire le chant ou la récitation des psaumes, de "l'oratio" ou prière proprement dite Pour lui, l'Office n'était pas "l'Oratio", la prière proprement dite : il n'en était que la préparation incantatoire. Aussi voulait-il que rien ne vienne troubler ces quelques instants de silence et de recueillement si précieux qui suivaient l'Office. Distraire quelqu'un à ce moment-là, c'eut été lui enlever le fruit de tout son office, rendre, à ce point de vue là tout au moins, cet office stérile, inutile (cf. Règle de Saint Benoît, ch. 20 et ch. 52).

Que cette idée de créer un conditionnement ne nous effarouche pas. Je le dis souvent : " on ne va pas étudier une thèse de philosophie sur la place de la Concorde ". Oui, il est incontestable que, vu notre psychologie, l'environnement peut nous faciliter cette prière de recueillement ou au contraire la contrecarrer. Jésus Lui-même, tout Fils de Dieu qu'il était, a tenu compte de cette utilité, de cette nécessité d'un environnement favorable pour la prière, sans doute parce qu'Il voyait là une loi de psychologie inscrite dans la nature humaine et donc voulue de son Père..

C’est ainsi que pour prier plus à son aise, Jésus se soustrait à la foule et s'en va "à l'écart", dans "les solitudes" ou les "lieux déserts" ou bien il gravit la montagne, même une " haute montagne "...

C'est ainsi que pour prier, il profite du calme de la nuit ou se lève de grand matin " alors qu'il faisait encore noir " note Saint Marc.

cf. Saint Matthieu, ch. 14,v.23 - Marc, ch. 1, v.12-13, v.35 et ch. 9, v.1 - Luc, ch. 5, v.16 ; ch. 6, v.12 ; ch. 9, v.18 et 28 - Jean, ch. 6, v.15).

Aujourd'hui, alors qu'on se targue de faire de la psychologie, on se croit facilement au-dessus de cette loi de la nécessité d'un certain environnement, d'un certain conditionnement pour prier en profondeur.

Il n'y a qu'à voir le mépris que certains affectent pour les cérémonies qui sont plus ou moins bâclées et comment ils prônent une liturgie souvent bien étriquée et vulgarisée... alors que le but de toutes nos liturgies, de toutes nos cérémonies, est de nous donner d'une part un sens plus aigu de la Grandeur, de la Majesté, de la Beauté de Dieu et de créer d'autre part une atmosphère de recueillement, de silence, qui saisisse notre être tout entier, sensibilité y comprise.

Faisons donc tous nos efforts pour que nos célébrations liturgiques soient de plus en plus belles et recueillies par la majesté des cérémonies comme par la beauté et la ferveur de nos chants. Evitons, comme le demande Saint Benoît dans sa Règle, tout ce qui peut troubler le recueillement auquel elles sont ordonnées. Pas d'allées et venues dans le chœur, pas de chuchotements, même si c'est pour dire à un des officiants ce qu'il doit faire ou aux membres de la chorale ce qu'ils doivent chanter... Tout cela a du être prévu auparavant pour que, dans l'exécution, rien ne risque de distraire et de détruire l'atmosphère de recueillement parfois si laborieuse à créer.

Un autre signe de ce mépris de la nécessité du conditionnement pour la prière, c'est ce que l'on fait de nos Eglises aujourd'hui.

Jésus voulait que la Maison de son Père soit une maison de prière ! Bien souvent, trop souvent hélas ! aujourd'hui, on peut se demander si nos églises sont bien ces " maisons de prières " que Jésus avait voulu qu'elles soient (Matthieu, ch. 2l, v.13). On peut se demander où est ce respect, ce silence, ce recueillement qui, ainsi que le rappelle Notre Père Saint Benoît (ch. 52), doivent régner dans l'oratoire. Non seulement on y parle, mais on s’y amuse, on y rigole, on y fume, tout comme au cinéma. On dirait que l'on s’acharne à désacraliser le lieu saint. Il est vrai que nos églises modernes, à la différence de nos cathédrales construites par des hommes de foi qui savaient par expérience quel environnement pouvait faciliter ou entraver la prière, il est vrai que nos églises modernes, trop souvent conçues et construites par des architectes qui n'ont même pas la foi, nos églises modernes, trop souvent seraient aussi bien halls de gare ou salles de danse ! Certains se félicitent d'avoir des églises polyvalentes ! " C'est du pratique, c'est de la pauvreté " ! Comme si l'argent employé à autre chose qu'à satisfaire des besoins matériels était un argent gâché ! Comme si un argent employé à subvenir aux besoins spirituels de l'homme était pur gaspillage ! Comme s'il était scandaleux d'employer de l'argent pour créer des lieux spécialement conçus pour faciliter cette prière, ce recueillement, ce silence qui permettent à l'homme de rester ou de redevenir lui-même...!

Le grand Docteur Alexis Carrel, alors qu'il n'était pas encore converti, écrivait dans sa plaquette sur " la Prière " : " Il y a besoin aujourd'hui de lieux de prière, de préférence des églises où les habitants des villes puissent trouver, ne serait-ce que pour un court moment, les conditions physiques et psychologiques indispensables à leur tranquillité intérieure. Il ne serait ni difficile, ni douteux, de créer ainsi des îlots de paix, accueillants et beaux, au milieu du tumulte de la cité. Dans le silence de ces refuges, les hommes pourraient, en élevant leur pensée vers Dieu, reposer leurs muscles et leurs organes, détendre leur esprit, clarifier leur jugement, et recevoir la force de supporter la dure vie dont les accable notre civilisation ". (p. 11-12).

Voilà, mes frères. Oui, dans la mesure où nous voulons agir comme le Seigneur, réformer le monde selon l'Evangile, il nous faut, nous aussi, nous surtout qui ne sommes pas comme le Christ unis personnellement à la divinité, il nous faut savoir, à son exemple, nous arracher à la foule pour nous recueillir, pour prier, pour resserrer nos liens avec le Seigneur, pour lui demander de collaborer avec nous en agissant ensemble à l'unisson, nous à l'extérieur, Lui à l'intérieur par sa divine grâce.

 

Haut de la page