Année A – 25ème dimanche ordinaire


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HOMELIE

 

« COUPEZ LES MAINS ! »….

Cette consigne fait toujours frémir quand elle est donnée au chef de canot ou de radeau de sauvetage. « Ne laissez monter dans le canot ou sur le radeau que ceux qui ont été désignés. Des autres qui voudraient s'y accrocher, coupez les mains, voici la hache ! Un surnombre ferait chavirer le canot ou couler le radeau et pour en sauver un, vous les noieriez tous ici. »

Allons-nous être obligés, mes frères, de donner cette consigne terrible...

Lors de la dernière retraite de profession de Foi, j'avais fait venir les "anciens", les aînés restés fidèles, pour qu'ils expliquent à leurs cadets les difficultés qu’ils avaient rencontrées pour garder cette fidélité et les moyens qu'ils avaient employés pour surmonter les obstacles. Tous, à l'unanimité je dis bien tous, sans aucune entente préalable, ont affirmé que c’étaient les colonies de vacances ou les groupements qui les avaient accrochés ou raccrochés au Christ, en leur faisant faire l'expérience de la joie que l'on trouve à vivre « à la mode de Jésus-Christ ». Cette expérience faite, pour tout l'or du monde, ils ne voudraient plus quitter...

Canot, radeau de sauvetage qui permet de surnager et d'échapper au naufrage, tels apparaissent donc, de l'avis des usagers, ces groupements de jeunes... De fait, leur rayonnement attire de plus en plus de candidats qui savent fort bien du reste que, chez nous, on ne vient pas là uniquement pour s’amuser mais avant tout pour s’imprégner d'un esprit, l'Esprit de Jésus-Christ. Nos chefs et cheftaines n’arrivent plus à suffire, ils sont débordés par le nombre. Allons-nous donc être obligée de donner la terrible consigne : « N'en prenez plus, vous risqueriez de ne plus faire du bon travail, tout le groupe en souffrirait... Coupez les mains ! »

Et avec cela : contraste !

BRAS CROISES AU PIED DE LA CROIX... Vous avez entendu ? « Que faites-vous là, bras croisés, toute là journée à ne rien faire ? » Et la journée s'étire et s'allonge, et la vie s'étire et s'allonge. C'est long une journée, c'est encore plus long une vie, quand on n'a rien à faire, qu'à ne croiser les bras et à attendre on ne sait quoi, on ne sait qui ! Et l'on s'interroge alors sur le sens de cette vie pleine de... vide, et c'est le cafard, le spleen.. le mal du siècle : n'arrivons-nous pas dans un siècle où tout est fait, où il n'y a plus rien à faire ?

« Que faites-vous là, bras croisés, toute la journée à ne rien faire ? » Pourquoi ?

Mais parce qu'il n'a rien à faire. Le monde est irrémédiablement taré, irrémédiablement pourri... Il n'y a rien à faire, on ne peut rien y changer. Nous portons le poids des péchés de générations en générations ; le mauvais pli est trop ancré.

Voudrions-nous du reste essayer de réagir ? La masse nous écrase. « Que voulez-vous qu'il fit contre trois ? » et contre cent alors, et contre mille, et contre des millions peut-être...?

Bras croisés par découragement, avant même de commencer la besogne, tant elle semble nous dépasser !

Pourquoi restez-vous ainsi, les bras croisés toute la journée, à ne rien faire ?

Mais parce que Dieu lui-même ne fait rien. Dieu lui-même se laisse bafouer, oublier, mépriser. Dieu lui-même laisse triompher le mal. Ce lui serait pourtant si facile de l'empêcher.

Il y a pire encore : bras croisés au pied de la croix, bras croisés parce qu’abrités par la croix, à l'ombre de la croix, bras croisés parce que croyants, parce que chrétiens ! Eh oui ! Il n'y a rien à faire parce que le Christ a fait tout ce que l'on pouvait faire. N’est-il pas mort pour le salut du monde ? N'a-t-il pas fait tout ce qui était faisable ? A cela que peut-on ajouter ? Tout au plus recevoir nous-mêmes et pousser les autres à recevoir ses sacrements pour profiter de ce salut...

Nous voilà bien arriérés, chrétiens du XXème siècle, qui reculons au delà des premiers. A cette époque-là, Saint Paul disait aux chrétiens de Corinthe : « Rappelez-vous vos ancêtres. Ils ont tous été comme baptisés en passant la mer rouge ; ils ont tous été nourris de la manne, symbole de l’Eucharistie… Ce n’est pas pour autant que tous ont été agréables à Dieu et sont entrés en terre promise ! » (1ère aux Corinthiens, ch.10,v. 1-6).

Eh oui ! s'il suffisait de recevoir les sacrements pour être sauvés, il y a longtemps que le monde serait changé, transformé, sauvé. Y en a-t-il encore de nos jours des baptêmes, des premières communions, des mariages et encore des absolutions… ?

C’est ça ! nous nous accommoderions volontiers d'un Dieu qui agisse directement, d’un Dieu qui fasse tout. Nous voudrions que le Christ tout au moins ait tout fait et qu’il ne nous reste rien à faire. Or, telles que les choses se passent en fait, il ne semble pas que notre Dieu entende les choses de cette façon-là. Sauf miracle, et ils sont excessivement rares , Dieu n'agit que par nous. Dieu sauve le monde au goutte à goutte des générations par les chrétiens de cette génération-là. Ces chrétiens, il les anime, il les sollicite, il les aide et les soutient certes, en vertu de la grâce que Jésus-Christ nous a méritée et qu'Il leur octroie par ses sacrements. Mais ceux-ci ne sont pas des signes cabalistiques aux effets magiques. C'est un monde de liberté, répétons-le une fois encore, que Dieu a voulu créer, où le bien ait valeur morale parce que voulu, poursuivi librement et non automatiquement. Ces grâces que Dieu nous octroie, il faut que le chrétien y collabore. Il faut qu'il les fasse fructifier. Saint Paul le disait nettement : « Ce que je suis, je le suis de par la grâce de Dieu, et sa grâce en moi n'a pas été stérile, loin de là au contraire, j'ai travaillé plus que tous les autres. » (1ère aux Corinthiens).

Grâces de Dieu ! Nous en recevons certes, mais qu'en faisons-nous ?

Oui, le monde qui nous entoure est taré, mauvais, englouti tout entier dans le péché. Saint Paul le disait déjà aux chrétiens de Rome. Ce monde est donc à sauver, et il le sera toujours car il peut l'être toujours davantage. Jésus-Christ, Lui, y a mit le prix. Il a fait, de son côté, tout ce qui dépendait de Lui, le possible et l'impossible.. Pouvez-vous dire, en regardant sa croix, que vous aussi, chacun de vous et tous en communauté, vous avez fait, vous faites chaque jour, tout ce qui vous est possible ?

L'auteur de l’Epître aux Hébreux disait à ces premiers chrétiens : « Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang dans la lutte contre le mal. » Et il les invitait, pour ne pas défaillir par lassitude, à fixer leurs yeux « sur le chef de notre foi, Jésus, qui, au lieu de la joie qui lui était offerte, a choisi la croix dont il méprisa l'infamie, Jésus, qui a rencontré une telle opposition de la part des pêcheurs » (Epître aux Hébreux, ch-12, v 2-5).

Certes, nous aussi, si nous voulons agir, nous rencontrerons de l’opposition. Nous aurons à subir des avanies, nous passerons pour des fous, des arriérés, pour le moins pour des originaux. Jésus nous en a averti : « Si le monde vous hait, sachez que moi aussi il m'a haï avant vous. » (Saint Jean, ch.15, v.18). « Vous aurez des tribulations, des épreuves dans le monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde ! » (Saint Jean, ch.16, v.33).

C’est sur ce cri d'espérance et de victoire que Jésus conclut son dernier entretien avec ses amis. Il partait pour l’agonie et la Passion, mais déjà se projetait l’aube, la joie, la lumière de la Résurrection, de sa victoire sur la mort, sur le mal, sur le monde mauvais.

Nous sommes les disciples du ressuscité. Pourquoi doutons-nous ? Pourquoi désespérons-nous. ? Aurions-nous peur de le suivre dans sa lutte et de poursuivre son œuvre de salut ? Nous devrions savoir, tout au moins, que sa grâce est en travail dans toutes les âmes si éloignées soient-elles, parce qu'il les veut toutes sauver et que cette volonté est agissante. Nous devrions donc être persuadés qu'au fond de chacune d'elles, nous avons un "complice". Et déjà, n'est-il pas vrai que ces convertis de plus en plus nombreux qui, grâce à l'authenticité évangélique grandissante de notre communauté, reviennent vers leur Dieu, ne sont-ils pas comme l’aube du salut, de la résurrection de notre monde ? Que serait-ce si, une bonne fois, cette année, tous les chrétiens de Rungis, stimulée par la croix de Jésus, décroisaient enfin leurs bras et s'y mettaient un bon coup... !

ON EMBAUCHE… ! Oui, en ce début de l'année scolaire, on embauche.. ! Ne cherchez donc pas à invoquer quelque excuse semblable à celle des ouvriers de la parabole : « Personne ne nous a embauché, on ne nous a rien demandé, il y en a déjà tant qui sont au travail, je ne puis, moi, apporter grand chose, à mon âge il est trop tard... ! » ON EMBAUCHE, ON EMBAUCHE, il y a du travail, du travail plein les bras et pour tout le monde sans exception.

OUVREZ SEULEMENT LES YEUX :

Vous ne voyez donc pas autour de vous toutes ces injustices, ces brimades, tous ces gens qui sont exploités... Que faites-vous pour les défendre ?

Vous ne voyez donc pas autour de vous comme l'amour est bafoué, profané, comme on cherche à pervertir systématiquement les jeunes... ? Et vous restez bras croisés, bouche close ... ?

Vous ne voyez donc pas autour de vous tous ceux qui souffrent, qui sont malheureux, tous ceux qui se sentent seuls, abandonnés, méprisés ... ? Que faites-vous, que faites-vous... ?

Nous l'avons dit, nous venons de le redire : quand nous voulons bien ouvrir les yeux, nous risquons d'être écrasés par l'immensité de la tâche. Alors, pourquoi ne pas nous y mettre à plusieurs ? Pourquoi ne pas entrer dans tel ou tel groupement, voire dans tel ou tel dicta, qui lutte dans cette perspective ... ?

Je vous entends : vous avez peur de « vous faire avoir », de vous laisser entraîner dans un sens plus ou moins politisé, tout au moins partisan et partial, qui risquerait de n'être ni juste ni chrétien. Vous n'avez peut-être pas tort ! Mais pour éviter ce risque, suivez la recommandation du Christ : « Dis-le à l'Eglise, à la Communauté. » (Matthieu, ch.18). Faites contrôler votre action par un groupe de frères chrétiens qui, avec vous, l'étudiera à la lumière de l'Evangile. Et même, pour ne pas risquer de tomber dans l'esprit de parti, parlez-en à un groupe de chrétiens authentiques mais de milieux divers qui pourront, chacun, voir un des aspects du problème. Puis, une fois que vous aurez fait ainsi tout ce qui est humainement possible pour avoir un jugement impartial et authentiquement évangélique, agissez avec énergie selon la lumière reçue, ne craignant pas de dire votre accord ou votre désaccord et les raisons qui le motivent...

Au niveau paroissial, nous embauchons aussi :

Il nous faut, je le disais en commençant, des chefs et des cheftaines... On embauche !

Il nous faut des catéchistes... On embauche !

Il nous faut du monde pour notre service d'entraide... Il nous faut du monde pour renflouer nos « équipes sociales » de jeunes gens et de jeunes filles qui ont pour but surtout d'apporter une franche amitié à tous ceux qui se sentent plus ou moins abandonnés ou rejetée de la société, afin de leur faire prendre ainsi conscience de leur valeur et de les aider à se « re-humaniser »… 

Il nous faut du monde, des jeunes foyers, pour nous aider dans la préparation aux mariages et aux baptêmes…

Il n'est pas jusqu'à notre chorale qui réclame des "voix" pour entraîner la communauté toute entière dans une louange du Seigneur de plus en plus fervente et enthousiaste...

Vous-mêmes qui avez atteint le "3ème âge", pourquoi ne pas entrer dans le mouvement de "Vie Montante" ? Vous vous y ressourceriez, vous apporteriez à d'autres personnes de votre âge qui sont seules, le rayon de soleil d'une visite amicale. Vous vous embaucheriez pour prier pour toute la communauté...

La tâche est immense. Sachez hiérarchiser ! D'abord, c'est évident, vos tâches familiales et professionnelles . Ensuite, votre milieu de travail et de quartier... Enfin, votre paroisse…

C'est entendu, chers frères, durant toute cette année, aucun d'entre nous ne suscitera ce scandale de rester les bras croisés, à l'ombre de la croix. Et, grâce à la générosité et à l’engagement de tous, nous n'aurons dans aucun domaine à donner la terrible consigne : « coupez les mains ! ».

 

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