Année A – 3ème dimanche de Carême


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HOMELIE

Un geyser ?... Non un jet d'eau rafraîchissante et vivifiante, voilà ce que Jésus promet à cette hérétique, à cette Samaritaine, à cette pécheresse.

Admirons tout d'abord, mes frères, la pédagogie du Seigneur.

Devant l’opposition des juifs, Jésus doit abandonner Jérusalem et la Judée dont il avait pensé, ce semble bien, faire son premier champ d'apostolat. Il se replie sur son pays d'origine, la Galilée. Il doit pour cela traverser la Samarie. Cela fait un jour et demi qu'il marche avec sa petite troupe. Ils ont parcouru quelques cinquante kilomètres. Ils viennent encore de marcher toute une matinée, sous le soleil brûlant de Palestine. Les voici arrivée tout près de Sidiem au puits que l'on appelle encore aujourd’hui le puits de Jacob, (Bir-Iaqoub) qui a quelques trente deux mètres de profondeur. Jésus est fatigué, harassé, éreinté. Il s'assied sur la margelle du puits.

Remarquons au passage comment Saint Jean lui-même ne cherche pas à surfaire son héros. Certes, Jésus n'a aucun péché, aucun défaut, aucune tare ; mais en prenant notre nature humaine, il en a épousé toutes les limites, toutes les faiblesses. Il n’est pas infatigable, pas plus qu'il ne fera preuve d'une insensibilité stoïcienne devant la souffrance, il a eu peur de souffrir. Ce fait que les évangélistes ne nous cachent pas ces faiblesses de leur héros, est pour nous une preuve de leur sincérité. Ils ne cherchent pas à mentir, à bluffer, à "faire mousser" leur héros. Ceci soit dit en passant.

Jésus est assis sur la margelle du puits parce qu'il était fatigué ; l'évangéliste le dit, mais aussi sans doute parce qu’il savait qu’il rencontrerait là une âme : à cette heure de midi, il y avait là un tel va et vient En effet, voici qu'une Samaritaine s'amène avec sa, cruche pour puiser de l'eau. Les juifs authentiques ne pouvaient sentir les Samaritains. Ils les méprisaient, c'était pour eux des hérétiques parce qu’ils s’étaient laissés contaminer, au cours des siècles, par le paganisme environnant. Les Samaritains de leur côté, éprouvaient les mêmes sentiments pour les Juifs. Jésus, Lui, ne Craint pas d’aborder cette Samaritaine, cette hérétique, et, qui plus est, la suite va nous le montrer, cette pécheresse.

Or, comment va-t-il l'aborder ?

La façon de faire du Seigneur est pleine de respect et de délicatesse. Tout d'abord, il se fait son obligé. Elle a sur Lui un avantage, une supériorité, Jésus va le reconnaître. Elle, elle a une cruche Lui il, n’en a pas. Alors, Il va lui demander un service : " Donne-moi à boire, s’il te plait ". On est toujours plus flatté de rendre service que d'en demander un. " Comment ? toi, sale juif, tu me demandes à boire à moi qui suis une Samaritaine ". La riposte est agressive. C'est une femme qui a souffert, elle a souffert d’être méprisée, méprisée par les Juifs ;

Elle a souffert aussi sans doute, la suite du récit le montrera, parce qu'elle a couru après un amour véritable, et à chaque fois, elle a été déçue. Alors, elle s’est durcie et cette dureté va se manifester dans toute sa conversation avec le Christ. Mais, Lui, Il ne se laisse pas décontenancer. Il sait bien pourquoi elle est si dure, cette femme, Il sait bien que c'est parce qu’elle souffre. Il sait bien qu'elle a le cœur déchiré, Il sait bien qu'elle se croit méprisée, même par Lui qui est Juif. Alors, Il va la prendre par un autre biais, Il va essayer d'éveiller sa curiosité féminine. "Si tu savais !" Lui, Il sait pourquoi cette femme souffre pourquoi elle est si dure, elle, elle ne sait pas à qui elle a affaire. " Si tu savais qui te parle et qui te demande à boire, c'est toi qui le lui aurais demandé ". Et la femme est toujours agressive. " Ah ! Elle est bien bonne celle-là ! tu n'as même pas de quoi puiser de l'eau et tu proposes de me donner à boire ? Serais-tu, par hasard supérieur à notre Père Jacob ? " Lui, au moins il a creusé ce puits pour nous donner à boire. Toi que peux-tu faire, tu n'as rien puiser ! " Quel ton narquois, ironique, agressif ! Ce cœur qui se durcit parce qu'il n'a jamais rencontré le véritable amour dont il était assoiffé, Jésus va essayer de le toucher. " Tu viens puiser à ce puits une eau qui ne peut étancher ta soif que temporairement. Moi, Je t’aurais donné une autre eau, une eau dont tu as soif, sans te l'avouer, peut-être, une eau qui n'est pas stagnante comme l'eau de ce puits, mais une eau vive, une eau bondissante et vivifiante, capable d'entretenir une vie éternelle !!!... "
" Ah ! " Cette fois, la femme semble intéressée. " Donne-moi donc cette eau qui donne la vie pour toujours ! Que je n'ai plus besoin de " m'appuyer ", de venir tous les jours ici pour puiser. " Et, sans doute, elle a déjà deviné que celui qui lui parlait faisait allusion à une autre eau capable d'étancher une autre soif qu’elle ressentait sans se l'avouer parce qu'elle avait trop souffert d'être toujours restée sur cette soif et de n'avoir jamais réussi à l'étancher.

Mais cette demande qu'elle lui adresse, montre à Jésus que cette âme sèche et dure est perméable à cette eau jaillissante et qu'elle a soif d’être comprise, de se sentir aimée pour de bon, pour elle-même ; elle a soif de vivre à bloc, de vivre d'une vie éternelle ! Alors ainsi éveillé en elle, ce désir, cette soif, Il va frapper le grand coup. " Va chercher ton mari ! ". Il veut tester cette âme. Il sait bien, Lui, ce qui se passe. Mais aura-t-elle le courage de se l'avouer, de le lui avouer ? Aura-t-elle le courage de dire la vérité ? Oui ! furtivement, comme a la dérobée, elle va avouer : " Je n'ai pas de mari ". Jésus saisit la balle au bond. Par deux fois, il souligne qu’elle vient de faire acte de franchise. " Oui, c'est vrai... en cela tu dis la vérité ! " Et, aussitôt, puisqu'elle a eu le courage de dire un brin de vérité, Jésus va l'aider à sortir tout le reste, Pour qu’elle soit déchargée de ce poids qu'elle a sur le cœur depuis peut-être fort longtemps. Pour lui faciliter l'aveu total, il lui montre qu'il a compris à demi-mots. " C'est vrai, tu as eu cinq maris et l’homme avec lequel tu vis maintenant n'est pas ton mari ". Surprise, un peu honteuse et gênée, elle se voit ainsi dévoilée, mais heureuse sans doute d'être enfin libérée de ce poids qu'elle avait sur la conscience, la femme essaie de détourner la conversation sur une question moins personnelle, mais qui a l'air de la préoccuper tout de même, une question de religion. Sur ce point aussi, elle va lui demander de faire la lumière sur la vérité : " Je vois bien que tu es un Prophète, puisque tu m'as dit la vérité. Alors, éclaire-moi ? Nous, les Samaritains, nous adorons Dieu sur le mont Garizim, et vous les Juifs, vous dites qu'il faut aller adorer Dieu à Jérusalem ". Puisqu’il la sent gênée, Jésus ne va pas insister davantage sur sa vie privée ! Il lui suffit qu'elle ait reconnu et avoué à demi-mots que cette vie n'était pas nette, et puisqu'elle désire, puisqu'elle a soif de savoir la vérité sur ce point plus dogmatique, Jésus va la suivre sur ce terrain. Puisqu'elle est franche, puisqu'elle a soif de vérité, Jésus, va construire sur ce sentiment et lui révéler de qu'est une vraie prière. " Crois-moi, femme, un jour va venir et il est déjà là, où on n'ira plus courir à droite ou à gauche pour adorer le Père. Ce que le Père demande, en effet, ce sont des adorateurs en esprit et en vérité. " Ainsi le Seigneur, lui redonne confiance, elle qui a su dire la vérité, elle qui demande à être éclairée, elle a tout ce qu’il faut pour pratiquer la vraie religion. Elle a tout ce qu'il faut pour recevoir la grande révélation que Jésus fait ici pour la première fois, et qu'il ne répétera que bien rarement et devant ceux-là dont les cœurs sont préparés à l'entendre : " Le Messie, je le suis, moi qui te parle ! ".

La femme est gagnée par cette délicatesse elle laisse là sa cruche, elle part à la ville : " Venez voir, J'ai rencontré quelqu'un qui m'a dit tout ce que j'ai fait ! ". On dirait que pour elle, ça y est son "baluchon" elle a pu rejeter par-dessus bord, elle est soulagée, elle est heureuse, elle est comprise, elle a trouvé quelqu'un qui n'a pas été rebuté par son agressivité mais qui, avec une délicatesse infinie, avec une compréhension infinie, avec une patience, une tendresse incomparables, a su l'aider à dire ce qu'elle désirait confier sans doute depuis fort longtemps, mais jusque là, elle n'avait trouvé autour d’elle que des censeurs qui la jugeaient, qui la condamnaient, mais personne à qui elle pouvait se confier. Elle repart toute contente, et elle se fait apôtre : il y en a tant sans doute parmi les gens qui l'entourent qui voudraient être compris, devinés. Et, en effet, les gens accourent vers le Christ parce qu'il a dit la vérité à cette femme : " Il m'a dit tout ce que j'ai fait ! " Ils ont soif, eux aussi, de vérité, ils ont soif de cette clarté que Jésus apporte, de cette eau limpide qui jaillit en vie éternelle.

 

Quand Jésus voit arriver tout ce monde, alors il n'a même plus faim, il n'a même plus le temps de manger. " J'ai une autre nourriture que celle que vous voulez me donner ", dit-il à ses disciples. " Ma nourriture c'est de faire la volonté de mon Père, de lui gagner des âmes. Regardez cette moisson qui arrive. Oui, vous allez pouvoir moissonner, vous allez pouvoir recueillir des âmes. Ce n’est pas vous qui avez fait le travail, il a été fait par une autre; il a été fait par cette femme, cette pécheresse qui a été porter le message, la bonne nouvelle, l’Evangile à tous ses compatriotes.

Quelle leçon de pédagogie, de pédagogie divine pour nous, mes frères, qui désirerions tant mener les âmes au Seigneur. Ouvrons les yeux de notre cœur il y a certainement autour de nous beaucoup d'âmes qui souhaiteraient pouvoir se confier si elles sentaient une bienveillance, une attention à elles, si elles sentaient un souci chez nous de partager leurs peines, leur fardeau. Combien de fois, elles le lâcheraient ce fardeau, elles en seraient soulagées.

Nous aussi, quand nous voulons aborder une âme qui nous parait dure, fermée, imperméable, allons-y avec la même délicatesse, la même discrétion, la même humilité que le Seigneur. Reconnaissons la supériorité qu'elle peut avoir sur nous dans tel ou tel domaine, faisons-nous ses débiteurs en lui demandant un service. Ingénions-nous à découvrir, même dans celle qui nous semble la plus dégradée, la plus petite parcelle de bien, la plus petite lueur de bon sentiments et soulignons-la, mettons-la en vedette. Montrons bien que nous sommes beaucoup plus attentionnée à ce résultat du travail de grâce de Dieu en elle, qu'à toutes ses défaillances et à tous ses défauts : nous en avons aussi, tout plein de défauts ! soulignons, relevons la plus petite parcelle de vérité qu'il peut y avoir dans ses erreurs et qui fait sans doute qu’elle accroche à ses erreurs.

Il est excessivement rare que l'on s'accroche à l'erreur pour l'erreur, mais c’est presque toujours parce que cette erreur nous apparaît vraie sous un certain aspect, parce qu'elle contient une parcelle, tout au moins, de vérité. Reconnaissons cette parcelle, montrons que sur ce point-là, tout au moins nous sommes d'accord. Alors, le climat de confiance sera créé, cette âme se sentira comprise, estimée et elle pourra s'ouvrir. Alors tout ce travail de la grâce qui sourdre en elle, pourra venir à la surface, pourra jaillir et s'épanouir. Ce souci de vérité et de sincérité de notre part, réveillera en elle un souci similaire, alors cette âme sera perméable à la vérité, et cette vérité, selon la promesse du Christ, la libérera et lui permettra de s’épanouir. Une âme qui s'épanouit, c'est encore plus beau qu'une fleur. Voilà le travail magnifique que le Seigneur nous confie : aider les âmes à s’épanouir.

Combien nous ressemblons à cette Samaritaine, mes frères. Nous aussi, nous avons, au fond, une très grande soif de vérité, de limpidité. Nous aussi, nous sentons le besoin de mettre de la netteté dans nos vies. Mais nous différons toujours parce que cela coûte. Voyez cette Samaritaine, pour elle, c'est une corvée d'avoir à " s'appuyer " de venir puiser de l'eau à ce puits, aussi elle attend le dernier moment, l'heure de midi, l'heure où l'on met les pieds sous la table, pour venir chercher l'eau. Ne l'imitons pas sur ce point. Durant ce Carême, notamment ce Carême de l’année Sainte, Jésus nous attend dans ses sacrements, et plus spécialement au sacrement de Pénitence ou de réconciliation, pour nous donner cette eau purificatrice qui jaillira en nous en une vie renouvelée. Jésus n'a pas attendu nos psychologues et nos psychiatres modernes pour savoir combien l'homme a besoin de pouvoir décharger son cœur, par la Confession. Il nous a donné le moyen, non seulement de jeter par-dessus bord le poids que nous pouvons avoir sur la .conscience et de nous mettre ainsi dans la vérité totale, sans comédie mais il a fait de ce sacrement la source d'où jaillit l'eau purificatrice et vivifiante de sa grâce qui redonne à notre âme toute sa vitalité, toute sa jeunesse. Remercions-le et profitons-en. Formé à son école et par son exemple, le prêtre devinera, lui aussi, à demi-mots et nous aidera à avouer nos défaillances. Pas plus que son Maître, il ne s'y attardera pas, mais cherchera, lui aussi à vous éclairer et à vous mettre dans la vérité.

Comme nous ressemblons encore à cette Samaritaine. Tout homme est, lui aussi, un assoiffé de bonheur. Mais, trop souvent, il va chercher à l’extérieur l’eau qui, pense-t-il, pourra étancher cette soif. Il court alors d’un puits à l'autre, mais ces puits sont vite taris, à la merci de la sécheresse et au mieux être, ne peuvent lui offrir qu'une eau stagnante et croupissante qui le laisse sur sa soif. Alors, déçu, il se racornit, se durcit, il devient agressif et blasé. Pour celui, au contraire qui puise sa joie avant tout dans la grâce de Dieu qui l’habite, dans cette présence divine à l'intérieur de lui, pour lui toute poétise, s’embellit, se rafraîchit, se rajeunit. Et ça se voit à l'extérieur, cette fraîcheur d’âme ! Vous avez tous rencontré de ces vieillards qui été déçus par la vie et qui sont devenus aigris, revêches, agressifs, qui jalousent méchamment les jeunes qu'ils ne peuvent comprendre. Et vous avez rencontré aussi de ces vieillards qui rayonnent de sérénité, et qui ont gardé une âme de jeune, un cœur d'enfant ! Oui, en ce Carême, demandons au Seigneur, cette eau jaillissante en vie éternelle, en vie sans déclin. Demandons-la au Seigneur cette grâce divine qui embellit tout, poétise tout, divinise tout et répond ainsi à dette soif profonde qu'il y a en nous. Puissions-nous communier à Pâques avec la même fraîcheur, la même jeunesse d'âme, la même joie qu’au jour béni de notre première communion !

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