Année A – 4ème dimanche de Carême


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HOMELIE

QUAND IL A UNE IDEE DANS LA TETE, IL NE L’A PAS DANS LES TALONS...
Qui ça?... Mais l'homme, mais chacun de nous !

" Seigneur, pourquoi cet homme est il né aveugle ? Est-ce lui-même ou ses parents qui ont péché ? " C'est l'éternelle question de l'homme en face d'une infirmité, en face de la souffrance. Contemporaine au temps du Christ, elle l'est encore de nos jours. C’est la source même de tous nos scandales devant l'existence du mal. S’il y a du mal, s’il y a de la souffrance, il doit y avoir du péché, si non c’est injuste. Autrement dit, le mal, la souffrance ne peuvent être qu'une punition, et punir un innocent c'est la pire des injustices.

Pourtant, quelques 500 ans avant Jésus-Christ, Dieu avait inspiré le livre de Job, dont le héros, au milieu des pires souffrances physiques et morales clame son innocence et proteste de toute son énergie contre cette trilogie : souffrance égale punition égale péché. Et déjà le prologue du livre énonçait une thèse assez nouvelle pour l'époque, que la souffrance pouvait être aussi épreuve, une pierre de touche de la gratuité de l'amour. Vraiment, est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? telle est la question, tel est le défi que Satan lance à Yahvé. Cette idée le livre de Tobie la reprendra au siècle suivant. Parlant au vieux Tobie qui, justement est devenu aveugle, l’ange lui dit : " parce que tu étais agréable à Dieu, il a fallu que tu sois mis à l'épreuve. " (Tobie, traduction de la Vulgate, ch.12,v.13). Le second livre des Maccabées, écrit vers 110 avant Jésus Christ, présente toutes les persécutions que les Juifs ont eu à subir sous la domination des Séleucides, comme une épreuve envoyée par Dieu à son Peuple. Enfin, dans le livre de Judith, au début du premier siècle avant Jésus Christ, l’héroïne s’écrie en s'adressant aux Anciens du Peuple : " Rendons grâce au Seigneur notre Dieu qui nous met à l’épreuve, tout comme nos Pères. Rappelez-vous tout ce qu'il a fait à Abraham, toutes les épreuves d’Isaac, tout ce qui arriva à Jacob....Car, comme Il les éprouva pour scruter leur cœur, de même, ce n'est pas non plus une vengeance que Dieu tire de nous mais c'est plutôt un avertissement dont Dieu frappe ceux qui le touchent de près. " (Judith, ch.8, v. 25-28).

Dans ce passage d'Evangile que nous venons d'entendre, Jésus nous dit que si Dieu permet la souffrance, c’est toujours pour un plus grand bien. Ici pour que l'action, la puissance de Dieu soient manifestée en cet aveugle par ce miracle, et qu’ainsi plusieurs, à commencer par cet aveugle lui-même, soient conduits à la foi. Jésus nous dira la même chose, dimanche prochain, à propos de la maladie et de la mort de Lazare. Oui, disons nous bien que ce qui, aux yeux de Dieu, compte encore plus infiniment plus qu'à nos propres yeux, ce que Dieu apprécie encore plus infiniment plus que nous, c’est tout ce qui a valeur morale, c’est tout ce qui vient de la liberté, tout ce qui vient de l'amour, d'un amour, spontané c’est la personnalité. Or il est incontestable que la souffrance est une fameuse école de toutes ces valeurs là. Nous avons tous rencontré de ces âmes qui ont été drôlement mûries, purifiées, affinées par la souffrance et par l’épreuve. Or, un père sportif n’élèvera pas son fils dans du coton ! Il voudra que lui aussi il devienne un sportif, il l’entraînera à faire des efforts et des performances physiques, au point de paraître trop dur, trop exigeant, voire cruel aux yeux d'un père mollasson ! Je le dis à nos enfants du catéchisme, Dieu n’a certainement pas la même idée que nous de la bonté. Déjà, chez les humains, nous n’avons pas la même façon de concevoir la bonté. La maman énergique et la maman " gâteau " ne se font pas du tout la même idée sur la façon d'être bonne avec leur enfant. La première qui veut en faire un homme, se montrera exigeante, demandera des efforts, tandis que l'autre dorlotera son petit et en fera un capricieux. L'une et l’autre croiront être bonnes pour leur enfant et chacune traitera l’autre de mauvaise mère, de cruelle !... Ainsi, il faut bien le reconnaître, Dieu peut parfois nous paraître cruel. Nous disons volontiers : " Si j’étais à sa place, je n'agirais pas de la sorte. En théologie, on dit que Dieu est bon de façon analogique, c’est-à-dire d'une façon qui est différente de la nôtre. " Dieu ne voit pas les choses à la manière des hommes " nous disait la première lecture de tout à l'heure. Sans doute, Dieu doit être bon et tout puissant, mais il est à présumer que la bonté de Dieu n’est pas celle que nous imaginons et qui n'est qu'une bonté finie.

Dieu, répétons le, aime, apprécie par dessus tout, tout ce qui est libre, tout ce en quoi se manifeste notre personnalité, surtout ce en quoi se manifeste un plus grand amour. Dès lors, Lui aussi, au point de vue moral, Il soumet ses fils à des épreuves sportives, au point qu'à nos yeux à nous qui n'apprécions pas au même degré ces valeurs, Il risque d'apparaître dur et cruel, Lui aussi Il nous faudra parfois faire appel à toute notre foi pour lui faire confiance mais celle-ci voulue ainsi bien délibérément et librement, aura à ses yeux une valeur inestimable.

Analysons maintenant ce miracle que St Jean nous raconte de façon on ne peut plus circonstanciée.

Dès l'abord nous sommes choqués, presque scandalisés par la façon dont Jésus le réalise. Il crache à terre, fait de la boue et la met sur les yeux de l’aveugle. Plusieurs fois Jésus fait une onction de salive pour opérer un miracle. Ainsi en St Marc (ch.7,v.33-37), Jésus pour guérir un sourd muet, lui met les doigts dans les oreilles et lui touche la langue avec de la salive, et dit en soupirant : " Ephpheta ", c’est-à-dire : " Ouvre-toi ! " Ainsi encore en St Marc (ch.8, v.22-26), lors de la guérison d'un autre aveugle, à Bethsaïde, Jésus lui met de la salive sur les yeux. Nous l'avons dit, l’onction de salive était considérée chez les Juifs de l'époque, comme un remède. On nous dit bien encore aujourd’hui de lécher une plaie pour qu'elle se cicatrise plus vite. En employant ce procédé comme en envoyant ensuite l'aveugle se laver à la piscine de Siloë, réputée pour source sainte parce que, lors de la fête des Tentes, le prêtre y allait puiser l'eau qui servait aux purifications rituelles, il semble bien qu'en agissant de la sorte, Jésus ait voulu nous dire, une fois encore, que nous ne devons pas tenter Dieu, nous ne devons pas attendre que tout nous tombe tout cuit du ciel, mais nous devons faire déjà tout notre possible, en employant les moyens naturels qui, à notre connaissance, sont à notre disposition. Peut être aussi, Jésus a-t-il voulu " masquer " par là son miracle. Jésus n’opère jamais ses miracles de façon ostentatoire et pour la gloriole, mais avec une humilité inégalable. St Marc note que chaque fois Jésus demande au miraculé de n'en rien dire a personne, mais de rentrer tranquillement chez lui. Ce qu’évidemment Il ne peut obtenir...

Mais, en même temps que le Seigneur recourt ainsi à un moyen naturel, quitte à lui donner en la circonstance, une vertu extraordinaire, il semble bien qu’Il ait voulu aussi mettre à l'épreuve la foi de ce brave aveugle : Il commence par l'aveugler davantage, en lui mettant de la boue dans les yeux. Toujours la même attitude, la même façon de faire de la part du Fils comme de la part du Père, Dieu veut bien agir, mais de nous Il attend un acte spontané, personnel, librement voulu et nullement automatique. C’est justement pour éviter l'automatisme de notre part qu'Il nous soumet à l’épreuve.

Dans l'enquête menée par les Pharisiens, à la suite de ce miracle, nous trouvons toutes les positions possibles vis-à-vis de la foi.

Il y a celle du brave aveugle. C’est celle du bon sens tout simplement, sans parti pris. Lui, il a les pieds sur terre, qu'on ergote tant qu'on voudra, une chose est sûre, c'est qu'il n'avait jamais vu et que maintenant il voit ! Ce que lui dit sa religion toute simple, c'est que Dieu n'exauce pas un pécheur et que par conséquent, Jésus est, à tout le moins, un Prophète, un homme de Dieu. Il y a chez lui un bon sens solide, sûr de lui, et qui ne se laisse pas intimider par les arguties des Pharisiens dont il se moque. Voyez un peu le ton ironique de sa question : " Je vous ai déjà dit comment Il m'a guéri, pourquoi voulez vous que je vous le redise encore, voudriez-vous par hasard devenir vous aussi, ses disciples ? " Bravo! voilà qui est bien envoyé ! Et cette autre riposte à ces Pharisiens, qui, pour l’intimider, viennent d'afficher leur soi-disant science. " Nous, disaient-ils, et soupesez tout l'orgueil qu'il y a dans ce " nous " nous nous savons que cet individu est un pécheur ! – " Tiens ! ah pour le coup voilà bien qui est curieux que vous, vous qui êtes si savants, vous qui savez tout, vous ne sachiez pas (ils viennent de l'avouer) d'où peut venir cet homme ! " - Quel camouflet pour la suffisance de ces beaux Messieurs ! - Voilà bien un exemple pour nous. Ne nous laissons pas intimider, nous non plus par la suffisance de nos doctrinaires d’aujourd’hui, parce qu’ils ont listé quelques articles ou livres de seconde main, veulent en remontrer à tous les chrétiens du présent et du passé A les en croire tout ce qu'on a enseigné et cru avant eux c'était de la bêtise ! Avec eux surgit l'intelligence, avec eux voici la lumière !... Ne cherchez pas à raisonner avec ces gens ! Vous perdriez votre temps... Ils seraient, du reste bien en peine pour justifier leur position à partir d'une interprétation vraie (et non fantaisiste ou a priori) de l'Evangile. Par ailleurs ils font fi de la Tradition qui nous relie aux Apôtres et à Jésus-Christ. Répondez par l'ironie en ayant l'air d'abonder dans leur sens : " Oui, c'est entendu jusqu'à eux, le Christ avait abandonné son Eglise, toutes les fois qu'elle a défini un point de doctrine, toutes les fois qu'elle a fixé un point de morale, elle s'est mis le doigt dans l’œil ! Il n’y a donc pas à tenir compte de ses définitions... " C'est d'ailleurs ce qu’ils font sans la moindre gêne. Par contre, ce que disent ces beaux Messieurs, ça c'est infaillible ! Quelle mentalité adolescente !...

Cette perméabilité à la lumière et à la vérité coûte que coûte prédisposait ce brave aveugle à recevoir, lui aussi, comme la Samaritaine de dimanche dernier, la révélation de Jésus sur son identité : " le Fils de l’Homme, autant dire Messie, c’est moi, moi qui te parle " et à cette révélation répond aussitôt l’acte de foi : " je le crois Seigneur ! " et il se prosterne devant lui.

Dans notre récit, à l'extrême opposé de l'attitude de ce brave aveugle, que nous devons imiter, se situe la position des Pharisiens. Eux aussi sont nos contemporains. Ils sont l’exemple typique de la mauvaise foi. A priori, ce miracle est impossible parce qu’il ne rentre pas dans leurs catégories mentales. Qu’ils aient demandé une enquête, qu'ils aient interrogé les parents du miraculé, voilà qui est sage et très normal. Mais ensuite au fur et à mesure que la lumière se fait, et que l’exactitude de la chose se confirme, au lieu de s’ouvrir, d’ouvrir leur esprit à sa possibilité (les faits sont les faits dirait le grand philosophe Bergson, et il est anti-scientifique de déclarer à priori ce qui est possible et ce qui ne l'est pas !) Ces Pharisiens s'enferment dans leur conception à eux, ils récusent le fait, ils récusent le miracle au nom de leur interprétation " à eux " de la Loi de Moise. " Cet homme n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. " Certes, Dieu avait en effet, ordonné ce repos sabbatique pour que l'être humain ne soit pas abruti par le travail et noyé dans les soucis purement temporels mais, qu'au moins une fois la semaine, sa tête, son esprit, son cœur et aussi son âme puissent émerger au dessus de ces flots afin de rester un homme. Mais, par cette loi, Jésus le dira en plusieurs circonstances similaires, Dieu n’entendait certes pas paralyser toute bonne action… toute action secourable et charitable ! Aussi les interprétations tyranniques et tracassières des Pharisiens sur le repos sabbatique étaient bien loin de rejoindre les intentions du Seigneur, c’étaient des interprétations de leur crû !....

N’empêche qu’aux yeux de ces Messieurs, Jésus devait s’y soumettre s'il ne voulait pas être considéré comme " abominable "… Ainsi sont excommuniés aujourd’hui par certains, ainsi sont considérés comme des "abominables" ceux qui ne veulent pas se plier aux interprétations fantaisistes de l’enseignement et de la loi du Seigneur, mais entendent s'en tenir à cet enseignement et à cette Loi, tels qu’ils nous sont présentés aujourd'hui comme hier, par ceux qui ont reçu mandat de la part du Seigneur et des Apôtres et en tout premier lieu par le successeur de Pierre.

Non seulement ces Pharisiens sont furieux que le Christ ne se conforme pas à leurs interprétations, mais ils ne peuvent supporter qu'il y en ait qui s'inclinent devant les faits devant la réalité de la guérison miraculeuse. Alors, affectant une assurance qu'ils n'ont pas du reste (car les avis sont partagés) ils essaient d'intimider le miraculé lui-même le croyant. " Rends grâce à Dieu d'avoir des pasteurs, des directeurs comme nous, si éclairés ! Nous, nous savons que cet individu est un pécheur. " Et parce que le brave aveugle ne se laisse pas intimider et répond du tac au tac, comme nous l'avons dit, alors on le traite de, tous les noms et on l'excommunie ! Ne croirait-on pas lire l’incident dans rubrique "religion" de notre quotidien. Rien n'est changé aujourd'hui !

Entre ces deux extrêmes, entre le bon sens de l'aveugle et la mauvaise foi des Pharisiens se situe la position des parents qui ne veulent pas se compromettre et capitulent devant la peur des qualificatifs qui pourraient leur être adressés par ces Pharisiens suffisants, et devant la peur d'être des proscrits. Alors ils retirent leur épingle du jeu : " Oui, c’est bien notre fils, oui, il est bien né aveugle, mais quant à savoir qui l'a guéri, nous ne savons pas... Interrogez-le vous même, qu'il se débrouille avec vous ! " La lâcheté, vous ne croyez pas qu'elle est aussi d'aujourd'hui ?... Combien qui, dans les discussions religieuses, usez à l'usine ou au bureau, sont secrètement d'accord avec vous, mais qui, par peur ou par intérêt, n’osent pas se compromettre. Et tous ces " silencieux " dans l'Eglise d'aujourd’hui qui, intimidés par l’assurance des nouveaux docteurs de la Loi et des Prophètes, n'osent rien dire pour ne pas être taxés de tous les notes et frappés de tous les anathèmes qui aient jamais pu être infligés à quelqu'un !

Mes frères, demandons donc à Dieu, aujourd'hui, cette foi de l'aveugle-né, une foi basée sur le bon sens, la sincérité et la loyauté, une foi qui ne se laisse pas ébranler, mais sache répondre de façon opportune et adaptée à tous ceux qui voudraient nous faire avaler leurs interprétations même quand elles ne sont pas dans la ligne de l’enseignement garanti par le Seigneur Jésus. Autrefois, en ce jour, sur les catéchumènes qui se préparaient à recevoir le baptême dans la nuit pascale, le prêtre renouvelait le geste de Jésus. Il soignait leurs yeux et leurs oreilles avec de la salive en répétant : " Ephphêta ! ", ce qui veut dire : " Ouvrez vous ! " oui, nous aussi, en ce jour, demandons à Dieu d'ouvrir encore plus grands les yeux de notre foi. C'est elle qui vous fait communier à la vision que Dieu a de toutes choses, vision qui, la première lecture nous le disait, ne s'arrête pas à l'apparence, à la superficie des événements comme des personnes, mais qui les scrutent en profondeur, une vision qui bien souvent, comme dans le cas de la souffrance, n'est pas celle que nous aurions spontanément et naturellement.

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