Année A - 5ème dimanche de Carême


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HOMELIE

" JE VEUX, TU VEUX, IL VEUT ", page 33. " Dans un petit village des Alpes, un enfant se meurt. Pour tenter de le sauver, on commande à New York, par radio, un remède miraculeux. Un quadrimoteur traverse l’Océan et se pose à Munich d'où, aussitôt, un hélicoptère décolle afin de rallier le village isolé par les avalanches. Arrivera-t-il trop tard ?… L’enfant est entré dans le coma... Perdu...Un médecin couvre la poitrine du petit mort et masse son cœur. L’enfant ressuscite. On lui, administre le médicament. Il est sauvé. La photographie de son premier sourire est envoyée par bélinogramme dans toutes les capitales. La mère prie. Elle a raison. Le médecin, lui, a regagné son cabinet, il a fait son travail de médecin, rien de plus. Quant à l’inventeur du médicament, c’est un simple chercheur de laboratoire. Pourquoi s’étonner, pourquoi parler de miracle ?... Le printemps ranime les prairies. L’enfant guéri court à l’école. Ses petits camarades lui demandent ce qu'il a vu quand il était mort. Il raconte mille histoires. Il est ravi...Un massage du cœur, c’est autre chose qu'une appendicite !… Et que lui enseigne-t-on à ce petit miraculé ?.. Que le Christ est Dieu parce qu’il a ressuscité Lazare ! "

C'est un journaliste, Marcel Haedrich, qui écrivait cela en 1955, dans un livre paru chez Robert Laffont et qui portait le titre que j'indiquais au début. Que n'écrirait-il pas aujourd'hui où l’on arrive à transplanter un cœur avec quelque succès !...

Voilà par quelle sorte d'argument un journaliste en mal d’attaque contre la religion, essaie d'impressionner les masses… Il faut reconnaître que le jour où ce Monsieur Haedrich parut à la télévision, pour présenter son livre, ce qui a eu lieu, en effet, pas mal de spectateurs ont du être très impressionnés, peut être même que la foi de plusieurs, en a été ébranlée. En tout cas, beaucoup ont du verser au dossier de leurs difficultés et de leurs objections contre le religion le raisonnement de ce journaliste. A qui la faute?...

Demandez donc à un enfant de nos catéchismes de la classe de cinquième de répondre à l'objection. Il aura tôt fait de vous faire remarquer d'abord que si ce monsieur prend la peine de montrer que les miracles de Jésus n'étaient pas si extraordinaires que ça, cela suppose, qu'à ses yeux, il pourrait donc se faire que ces miracles aient eu lieu. Et de fait, il vous expliquera, cet enfant, qu’on ne voit pas très bien comment les contemporains et les compatriotes de Jésus auraient pu le prendre pour le Fils de Dieu lui-même, et ce au péril de leur vie, si ce Jésus qu’ils connaissaient bien, n’avait rien fait d’extraordinaire. Il ne faut tout de même pas croire que l'on nous a attendus pour être intelligents.

Ensuite, l'enfant ne manquera pas de vous souligner que Jésus était drôlement en avance sur son temps puisqu'il réussissait à faire ce que nos savants d'aujourd'hui, après bien des recherches, bien des études aussi, réussissent à copier d'assez loin du reste.

Car, en effet, il n’aura pas de peine cet enfant, à vous souligner toutes les différences qu’il y a entre la façon dont Jésus réalisait ses miracles et la façon dont les savants arrivent, aujourd'hui à réaliser des choses extraordinaires. Dans le cas qui nous est donné, l'enfant venait à peine de mourir. Dans le cas de la transplantation cardiaque, on prend le cœur du mort quand il est encore tout chaud. Lazare, lui, était déjà enterré, enterré depuis 4 jours, il se décomposait, il sentait déjà mauvais ! Dans le cas de l'enfant, on peut certes être dans l'admiration de tout ce monde qui court, qui se précipite, qui se dévoue pour le sauver. On remue vraiment ciel et terre. Jésus se rend seulement au tombeau et Il commande au mort. Il y a tout de même, avouez, une "petite" différence ! Equiparer les deux reviendrait à dire qu'aller de Paris à Marseille à pied ou en avion, c’est pareil puisqu'on arrive au même résultat et que les deux voyageurs se rencontrent sur la Canebière !

Oui, dans nos catéchismes, nous pensons qu'il est capital de préparer nos enfants à répondre à n'importe quelle objection qu’ils pourront se faire ou qu'ils pourront entendre sur la religion. La crise actuelle de la foi chez les jeunes ne vient-elle pas, en grande partie, de ce qu'on s'est moqué, c'était la mode alors, de l'apologétique c'est à dire de la défense rationnelle de la religion ? Certes, ce n'est pas l'apologétique qui donnera jamais la foi, il y faut la grâce de Dieu, c’est sûr ! Mais Dieu ne peut prêter son concours à un acte humain qui serait une faute, une faute d'imprudence, et c’en serait une que de croire une chose sans avoir aucun motif de penser qu'elle est vraie. Ceux qui se sont livrés à toutes ces attaques contre l’apologétique sous prétexte de magnifier à la suite de Karl Barth, le côté surnaturel de la foi, savaient bien ce qu’ils faisaient. Les jeunes d'aujourd'hui, comme les jeunes de tous les temps sont remplis de générosité, mais ils veulent savoir pourquoi ils font une chose. C'est pourquoi ils ont envoyé "promener" la morale parce que, peut être, par la façon dont nous la leur avons présentée, elle leur est apparue comme une vexation arbitraire, purement autoritaire, sans motivation. Montrez-leur comment ce que l’Eglise nous demandera la suite du Christ correspond aux souhaits les plus profonds et les plus nobles de leur cœur, et ils seront prêts à faire tous les efforts. De même au point de vue de la foi, ils ne peuvent accepter une foi qui serait "la foi du charbonnier", une foi qui serait pure affirmation gratuite et purement traditionnelle. Ont-ils tort ?... Dieu lui-même accepterait-il une foi de ce goût-là ?... Assurément non. Nous ayant fait intelligents, Il ne peut accepter que notre foi soit bête et que nous pensions sans aucun motif valable, qu'il nous a révélé telle ou telle vérité. Il veut que notre foi soit fondée en raison. Montrez à nos jeunes nos raisons de croire. Montrez-leur que la science d’aujourd’hui, loin de contredire la foi, vient au contraire la corroborer, ne serait-ce que dans le domaine de l'histoire. Montrez-leur par exemple, comment les découvertes archéologiques viennent confirmer ce que la Bible nous disait déjà, et vous verrez que ces jeunes ne sont pas aussi systématiquement opposés à la foi que vous le pensez.

Certes l’appétit, la soif de vérité coûte que coûte est suscitée en nous par la grâce de Dieu. C'est cette soif qui nous fera entreprendre notre recherche, c'est elle qui nous la fera poursuivre et nous empêchera de sauter à pieds joints sur le premier prétexte trouvé, sur la première objection venue pour arrêter cette recherche. Encore faut-il que cette soif de vérité ne reste pas paresseuse, stérile, attendant que "ça vous tombe tout cuit du ciel !". A part quelques " coups de grâce " miraculeux comme St Paul, Claudel, plus près de nous Frossard, (et encore il faudrait voir si même dans ces cas, il n'y a eu absolument aucune recherche, aucune inquiétude ?) la foi, comme tous les actes surnaturels, demande la collaboration de Dieu et de l'homme. Malgré toutes les définitions de l'Eglise à ce sujet, nos théologiens novateurs l'ont trop oublié. Serait-ce médire que de prétendre, encore une fois, que chez certains, tout au moins, cet oubli n'était peut-être pas involontaire ? L'Eglise a parlé si clair sur ce sujet que, pour peu qu’ils aient fait quelque étude théologique, ils ne pouvaient l’ignorer.

Et voici la seconde réflexion que nous pouvons faire sur cet évangile. Il est toujours très impressionnant de voir pleurer un homme. L'homme considère souvent les pleurs comme une faiblesse indigne de lui et quand il lui arrive de pleurer, il a honte, il se cache. Jésus, Lui, n'a pas joué au stoïcien, il a été visiblement ému, Il a pleuré. Il a pleuré publiquement la mort de son ami, peut être, mais Il savait bien qu’Il allait le ressusciter. Il a pleuré surtout par compassion, en voyant pleurer les sœurs et les amis de Lazare. Il a réalisé ainsi la recommandation de l'Apôtre : " pleurez avec ceux qui pleurent. " (Epître aux Romains,ch.12,v.15). Il sait, Lui, comment une peine parait plus légère quand on la porte à plusieurs, Il sait qu'une joie partagée est décuplée. Quelle leçon pour nous qui trop souvent voulons jouer "aux durs". Non, ces gens qui veulent être secs, durs qui sont ennemis de tout sentiment, qui ne veulent parler ni d'enthousiasme, ni d'emballement, ces cérébraux, ce ne sont pas des imitateurs du Christ. St Paul ne reproche-t-il pas aux pas aux païens d'être " sans affection et sans pitié. " ( Epître aux Romains, ch. 1, v. 31). L’insensibilité stoïcienne, elle est païenne, elle ne sera jamais chrétienne ! Jésus, Pierre, Paul, Jean ont été des coeurs vibrants, sensibles, Dieu sait pourtant quelle énergie, les habitait !

Jésus a montré, par ses larmes, à quel point Il aimait ses amis de Béthanie qui, si souvent, Lui avaient ouvert leur porte. Mais alors nous dirions volontiers avec "certain d'entre les Juifs", s’il les aimait tant, comment se fait-il qu’il n’ait pas empêché Lazare de mourir ? Pourquoi n'est il pas venu à temps pour le guérir ? Pourquoi a-t-il tant attendu pour se rendre à son chevet quand Il a appris qu’il était malade ? Ah ! ce mystère que nous soulignions dimanche dernier, de l'union paradoxale chez Dieu et chez Jésus-Christ de l'acceptation que ceux qu'ils aiment puissent avoir à souffrir ? ! La raison que Jésus nous donne ici de ce paradoxe rejoint celle qu'Il nous donnait dans l'évangile de l’aveugle-né. Jésus diffère sa visite à ses amis de Béthanie pour leur donner une marque encore plus grande de son amitié et de sa puissance. Il ne se contentera pas de guérir Lazare, comme Il a guéri tant de malades, Il le ressuscitera et ils seront ainsi encore plus fiers d'avoir l'amitié d'un personnage encore plus puissant qu'ils ne le pensaient ! De épreuve, Dieu veut toujours tirer un plus, c’est pour cela qu'Il le permet.

Troisième réflexion que nous pouvons faire sur cet évangile. Jésus dit à Marie, la sœur de Lazare, : " celui qui croit en moi, même s’il meurt, il vivra, et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais ! " - Que veut dire cette promesse ?... Il est bien évident que la foi en Jésus-Christ n’empêche pas de mourir de la mort temporelle : Lazare, lui-même a du repasser par cette mort comme Jésus lui-même y est passé. Mais cette foi dans le Christ est la source d’une autre vie, d'une vie spirituelle, surnaturelle, qui, elle, est éternelle. C’est la raison pour laquelle, autrefois, on lisait en ce jour cet évangile à l'adresse des catéchumènes qui allaient recevoir le baptême dans la nuit de Pâques. La foi au Christ qui aboutit au baptême, qui vient la consacrer et la parfaire, ressuscite en nous l'homme, l'être spirituel qui avait été enfoui, enterré par le pêché qui est en lui comme une victoire de l'animalité, des instincts et des passions sur la raison. Elle ressuscite en lui l'être spirituel mais ennobli encore davantage puisqu'elle l'apparente à Dieu qui est " l'Esprit ". C’est l'Esprit qui désormais va dominer ce corps mortel, va le sublimer, le spiritualiser pour ainsi dire. C’est l’esprit qui, avec cette grâce de Dieu, va façonner son corps. Celui-ci devient vraiment nous-mêmes dans la mesure où notre esprit, sous l'influence de l'Esprit de Dieu, le plie à ses volontés. Dès à présent nous voyons parfois des gens dont l’esprit transpire, pour ainsi dire, à travers le corps qui, de ce fait, en devient comme lumineux, transparent. Aussi bien c'est cette vie de l’esprit qui survivra à la mort et à la destruction de nos corps. C'est à partir de là que l’on peut se faire une petite idée de ce que sera cette résurrection corporelle qui nous est garantie et promise à la suite de la résurrection corporelle du Christ. Au jour " J ", au jour du triomphe final et complet du Christ, non seulement en son corps physique mais aussi en son Corps mystique et moral que sont tous ses disciples, c’est l'être spirituel de ces derniers qui, à nouveau, se façonnera un corps. Il ne sera pas nécessaire que celui-ci soit formé des mêmes éléments numériques que ceux dont il fut jadis formé, il ne sera pas nécessaire pour que ce corps soit "notre" corps qu'il soit formé des mêmes molécules que celles qui le composaient au moment de notre mort. Il ne s'agit pas en effet de reconstruire ce corps terrestre. D’ailleurs, que signifient "nos" molécules, elles changent sans cesse : des éléments qui formaient le corps de l'enfant, nous ne retrouvons pour ainsi dire plus rien dans le corps de l'adulte. Les éléments avec lesquels seront formés ce corps nouveau, incorruptible, glorieux, spiritualisé comme dit St Paul, seront peut-être bien puisés dans ce monde-ci, mais dans un monde qui aura été transmuté, transfiguré.

A l'occasion de ces fêtes pascales qui approchent, demandons au Seigneur de rénover en nous cette vie spirituelle, cette vie de la grâce, cette vie divine qui est peut-être morte ou à tout le moins plus ou moins engourdie, paralysée. Que notre foi affermie, que notre âme purifiée et rajeunie par la grâce des sacrements, transpire à travers nos corps eux-mêmes qui en soient comme tout irradié et que tous soient obligés de reconnaître que les chrétiens, contrairement à l'aphorisme de Nietzche, ont vraiment des gueules de ressuscités !

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