HOMELIE
" TOUT EST FINI " ... ces trois mots étaient sur les lèvres de tous, au soir du Vendredi Saint, mais dans un sens bien différent.
Du haut de sa croix, Jésus s'était écrié: " Tout est consommé ! " Cela voulait dire : " Tout est fini, tout est achevé. " Cette parole rejoignait celle que Jésus avait dite la veille, dans sa prière à son Père, avant d'entrer en agonie : " J'ai achevé l'œuvre que Tu m'avais confiée ! " sur ses lèvres c'était déjà un cri de triomphe : " Mission accomplie ! "
" Enfin, c'est fini " se disait Pilate avec un soupir de soulagement. " Ce qui est fait est fait ! Je n'aurai plus ce cauchemar de me demander : que dois-je faire ?... Condamner, ne pas condamner ? ... C'est fini, c'est fait ! "
" Ca y est, c'est fini " se disent, en se frottant les mains, tous les ennemis du Seigneur. " Il est mort et bien mort ! Nous n'aurons plus à subir ses invectives, ses remontrances, nous n'avons plus à craindre qu'il fasse une révolution, nous allons pouvoir continuer notre vie comme avant et garder nos bonnes places. Victoire ! " .
" Alors ? ... Tout est fini ! " se disaient les apôtres et les disciples du Seigneur. Dans leur bouche, cette phrase exprimait non seulement la déconvenue, mais la profondeur de leur abattement de leur découragement, de leur désespoir. " Nous avions espéré, nous, qu'Il délivrerait Israël. " diront les disciples qui cheminaient en ce soir de Pâques sur la route d'Emmaüs. " Nous avions espéré, mais c'est fini, nous n'espérons plus rien. Il faut se rendre à l'évidence. Nos prêtres, nos dirigeants L'ont condamné, ils L'ont livré aux Romains, ils L'ont fait condamner à mort ! Tout est fini ! "
ET VOICI QUE SUBITEMENT, EN CE MATIN DE PAQUES, TOUT RECOMMENCE ! Pilate s'affole au récit des soldats revenant du tombeau. Vite, il faut acheter leur silence, comme on avait acheté la complicité de Judas, il y a quelques jours.
Tout est à recommencer pour les ennemis du Christ, ils vont s'en apercevoir sans tarder. Il faudra employer les menaces et les fouets, pour essayer, vainement du reste, de fermer la bouche aux Apôtres. " Nous ne pouvons pas, diront-ils au Sanhédrin, ne pas publier ce que nous avons vu et entendu ! " (Actes, ch.4, v.20)
Et pour les Apôtres, alors ! Oh ! Il leur faudra du temps pour croire à la Résurrection !
" Il est ressuscité ! " Cette annonce des Anges aux saintes femmes venues au tombeau, elles la répéteront aux Apôtres, mais ils se refuseront à les croire : " Rêveries de femmes " disaient-ils. Cependant Pierre, le chef, en homme réaliste, veut aller vérifier, se rendre compte sur place. Il court au tombeau avec son ami inséparable, Jean. Là, il constate l'exactitude des dires des femmes : le tombeau est bien vide. Quant à Jean, il est frappé de ce que le linceul et la mentonnière sont restés exactement à leur place. Le linceul s'est seulement affaissé comme si le corps avait été volatilisé. Cela ne peut pas manquer de les intriguer : si on avait volé le corps, on l'aurait emporté avec le linceul, du moins le drap et le suaire auraient été rejetés en désordre ! Si même le Christ était sorti de son tombeau, à la façon de Lazare, Il aurait envoyer " promener " suaire et linceul... Pierre revient tout pensif... Quant à Jean, il nous dit lui-même, que, pour sa part, dès ce moment il a cru.
" Il est ressuscité ! " Quelques heures plus tard, ce cri de joie et d'enthousiasme s'exhalera du cœur de tous les Apôtres, mais ce ne sera qu'après que Jésus se sera montré à Pierre, ce ne sera qu'après que Jésus aura longuement cheminé avec les disciples sur la route d'Emmaüs, ce ne sera qu'après que Jésus se sera présenté devant les Apôtres en chair et en os, qu'après qu'Il leur aura montré les stigmates de ses plaies, qu'après qu'ils L'auront palpé, qu'après qu'Il aura mangé et bu devant eux.
" Il est ressuscité ! " Et voici que les Apôtres sont désormais tellement sûrs de leur affaire que rien ne les arrêtera, rien ne pourra les empêcher de proclamer cette Résurrection du Christ. Et, ce qui est encore plus surprenant, c'est que les gens qui les entendront la proclamer, par milliers se rallieront à cette foi, 3 000 un jour, 5 000 un autre. (Actes des Apôtres, ch..2, v.41, -ch.4, v.4).
Comment expliquer cela de la part de compatriotes qui Le connaissaient par cœur, le Seigneur-Jésus, qui avaient suivi son jugement, qui avaient suivi son exécution et qui, quelques jours après, lorsqu'on vient leur annoncer sa Résurrection, y croient de tout leur coeur, eux aussi, malgré les menaces et la persécution, malgré les martyres ?...
Ces contemporains, ces compatriotes du Christ, nous en avions tout à l'heure un témoignage dans la première lecture, ils L'avaient vu, c'est vrai, condamné, pendu à la poutre de bois, mais ils avaient vu aussi sa vie, ses miracles dont Pierre n'hésitait pas à faire état devant le centurion Corneille qui, pourtant, était un païen qui reconnaissait, lui-même, que Jésus était passé en faisant le bien, en faisant des miracles extraordinaires. Pour ses compatriotes qui avaient vu tout cela, cette Résurrection du Christ leur paraissait tellement dans la ligne de ce qu'Il avait fait que ça ne les étonnait pas outre mesure de sa part. Voilà pourquoi dès la première fois que cette vérité leur est annoncée ils y adhèrent de tout leur cœur et, malgré tout, y resteront fidèles. C'est même cette conviction qui les rassemblera.
" TOUT EST FINI ET BIEN FINI " QUE DE FOIS LES ENNEMIS DU CHRIST ONT CLAME CETTE ANNONCE, CE CRI DE VICTOIRE A L'ADRESSE DE SON EGLISE !......
En 305, Dioclitien faisait frapper une médaille : " en souvenir du Christianisme disparu ! "
En 1758, Voltaire déclarait triomphant : " dans 20 ans le Galiléen aura beau jeu ! ". Victor Cousin en 1845, s'écriait : " le Christianisme n'en a que pour 50 ans dans le ventre ! "
Proudhon, lui, déclarait : " que les âmes dévotes prennent leurs passeports d'avance, car avant dix ans, il ne restera plus un prêtre pour leur administrer les saintes huiles. " C'était en 1858 !
Celui que l'on a appelé " le petit Père Combes " en1904, affirmait sa résolution : " je vais en finir avec la réaction cléricale... donnez moi trois mois, pas davantage ! "
Ils auraient mieux fait tous ces prophètes de la mort et de la disparition du Christianisme et de l'Eglise, ils auraient mieux fait comme l'avaient fait leurs ancêtres du Sanhédrin de se ranger au sage avis de Gamaliel : " Ne vous occupez pas de ces gens là, laissez-les tranquilles, car si leur entreprise, si leur œuvre vient des hommes, elle se détruire d'elle-même, comme tant d'autre. Mais si vraiment elle vient de Dieu, vous n'arriverez pas à la détruire. Ne risquez pas de vous trouver en guerre contre Dieu. " (Actes des Apôtres, ch.5, v.38-40).
Dieu sait, chers amis, si AUJOURD'HUI PLUS QUE JAMAIS, ils sont nombreux ceux qui prédisent que c'en est fini, que le christianisme a vécu, que la société est a rebâtir sur d'autres bases. Combien de journalistes vous le diront, combien de graves professeurs de philosophie ou de sociologie le déclarent, combien de camarades d'usine, de bureau, de faculté, de lycée vous le répètent comme une vérité allant de soi, tellement on le leur a ressassé sur tous les tons....
Et de fait, aux yeux de certains, elle semble bien " s'en aller en poire ", l'Eglise, la sainte Eglise de Dieu. Que de défections spectaculaires qui s'affichent dans les journaux ou sur nos écrans ! Quelle division entre chrétiens ! Quelle anarchie doctrinale ! Quel relâchement moral ! Quel abandon de la pratique et des sacrements !... Et, comme pour mieux nous en impressionner, on nous assène périodiquement des statistiques, sachant combien elles peuvent faire pression sur les consciences faibles et moutonnières, sur les esprits primaires qui sont incapables de se faire une idée ou une conviction personnelle.
Et pourtant,... AUJOURD'HUI ENCORE, en ce jour de Pâques 1975, après deux mille ans, des centaines de millions de chrétiens dans le monde entier, des gens de toutes conditions qui sont loin d'être tous des imbéciles, chantent, célèbrent cette résurrection du Seigneur...
ET POURTANT AUJOURD'HUI PLUS, QUE JAMAIS PEUT-ETRE, on en parle partout de ce Jésus ! Aujourd'hui plus que jamais peut-être il y a des jeunes qui cherchent un idéal capable de donner un sens à leur vie, qui recherchent des lieux de recueillement et de prières. Voyez Taizé ! Qu'on en pense ce que l'on voudra, il n'empêche que, même si c'est par snobisme que ces foules de jeunes y affluent, il faut l'expliquer ce snobisme ! Tous nos monastères regorgent de retraitants qui viennent se recueillir.
Il suffit du reste de se demander dans quel sens doit aller le monde pour qu'il progresse.
Est-ce vers un amour qui épanouit l'être humain tout entier, non seulement dans son corps, mais aussi dans son esprit et dans son cœur, ou au contraire, faut-il aller vers la bestialité ?
Est-ce vers la loyauté, la franchise, ou vers une hypocrisie de mieux en mieux camouflée ?
Est-ce vers un égoïsme de plus en plus forcené, vers l'avarice, la rapacité, n'est-ce pas plutôt vers la fraternité et le partage ?
Est-ce vers le triomphe de l'idéal et de la raison ou, au contraire, vers le triomphe des caprices, des passions et de tous les bas instincts ?
Est-ce vers un "système D", de plus en plus perfectionné ou, au contraire, vers une plus grande solidarité ?
Le monde va-t-il produire des personnalités de plus en plus fortes ou bien va-t-il vers la fabrication intensive et en série de moutons de Panurge ?
Allons-nous vers l'abrutissement total et l'abdication de la raison ? Vers le " cherche pas à comprendre !…" ? Ou faut-il se glorifier de se poser le dernier "pourquoi" de l'existence du monde et de notre propre existence, le dernier "pourquoi" des lois du monde ?...
Oui, qu'on le veuille ou non, le monde ne pourra échapper à la catastrophe, ne pourra progresser, devenir plus humain que dans la mesure où il reviendra au Christ, à l'idéal de Jésus-Christ. LUI et LUI SEUL PEUT LE SAUVER !
Ce salut, cet épanouissement qu'apporte le Christ, nous en avons pu faire l'expérience nous-mêmes dans notre confession pascale. Est-ce qu'après avoir reçu ce pardon du Christ, nous n'avons pas ressenti en nous, comme nous le disait le prophète dans la lecture de cette nuit, un esprit nouveau, une vie nouvelle ? Il nous semblait que nous redevenions comme des enfants. Une âme d'enfant qui admire, qui rêve, qui s'épanouit, qui trouve que tout est beau. Il nous semblait en effet que repartait une vie dont nous avions rêvé et que nous savourions !
N'est-il pas vrai, mes frères, que même dans notre chère paroisse, ici, depuis que nous avons essayé de prendre au sérieux notre christianisme, il y a comme une résurrection qui s'amorce. Je vous avoue que j'ai été ému quand j'ai vu assister à notre messe du Jeudi Saint, une messe qui n'est pas obligatoire, tous les responsables de notre jeunesse, tous nos chefs, et cheftaines ! J'ai été ému quand je les ai vus, après, rester si longtemps alors que la foule s'était écoulée, devant le tabernacle du reposoir, face à face avec le Seigneur parce qu'ils sentaient qu'ils étaient aimés par Celui qui était là ! J'ai été ému et touché, la nuit dernière, par cette multitude qui était là pour célébrer avec nous cette résurrection du Seigneur, une assistance double de ce que nous avions prévu ; notre Eglise du Prieuré était comble et tout le monde chantait cette gloire du Ressuscité ! J'étais ému parce qu'après cette cérémonie, un de nos jeunes m'a entraîné dans un coin pour me dire : " Voilà, Père, j'ai essayé de faire quelques efforts pendant le Carême, je me suis un peu privé de ceci ou cela, à qui dois-je remettre ma petite offrande pour le peuple de la faim ? " J'ai été ému quand j'ai appris que tel des chefs de nos jeunes, le Vendredi Saint, n'avait pas voulu prendre le moindre aliment pour jeûner, pour souffrir un peu avec Jésus-Christ ! C'est quelque chose, çà ! Une jeunesse qui redébute comme çà, il y a de l'espoir... J'ai été ému par le geste de ce menuisier qui, durant tout le Carême, a offert le prix de deux heures de son travail chaque jour pour les peuples de la faim !
Cette résurrection de notre paroisse, mes amis, il me semble la constater parce qu'on sent l'enthousiasme qui repart et çà, voyez-vous, si nous voulons ressusciter notre monde qui meurt et qui crève dans son pêché, il faut lui apporter l'enthousiasme parce qu'il en a rudement besoin... Il a besoin de s'élever au dessus de cette vie sordide, parce qu'il a besoin de s'épanouir aux dimensions que Dieu lui avait données.
Alors si, chaque fois que nous nous retrouvons ensemble, chers frères chrétiens, c'est pour tous recharger de cet enthousiasme du Seigneur, pour être encore plus sûrs et plus fiers de notre foi, pour être encore plus heureux de cet idéal que Jésus nous a donné, pour être encore plus fous de son amour, alors comment voulez-vous que nous ne mettions pas le feu au monde ? Et ce monde aussi, grâce à Jésus-Christ, grâce aux disciples de Jésus-Christ, grâce aux convaincus de la Passion de Jésus-Christ, ce monde, lui aussi ressuscitera !…