SOMMAIRE DE L'HOMELIE
VIEILLES PEAUX !... Le Christ apportait un esprit tout nouveau, un message d'amour et de joie qui devait faire éclater toutes les vieilles institutions.
Rien ne sert de changer les institutions et les lois si l'on
ne change pas les mentalités...
Au contraire changer les mentalités, c'est changer à brève échéance les institutions...
exemple de l'esclavage...
Ce changement des mentalités, c'est notre travail spécifique.
Peut-on arriver à changer la mentalité du monde ?...
Le christianisme l'a fait en plusieurs circonstances... comment s'y prendre ?
- Que chacun y travaille auprès de ceux qu'il côtoie ou dont il a la responsabilité...
- Nous prêtres, nous avons deux moyens principaux := la messe dominicale
= la confession...- pour que nous prêtres, nous n'ayons d'autre préoccupation que celle de rendre nos communautés chrétiennes plus authentiques, nous avons voulu mener une vie à l'instar de celle des moines dont toute l'ambition est de vivre l'idéal du Christ...
- Nous pourrons alors veiller plus efficacement à ce que nos chrétiens et nos communautés ne dévient pas :
= par suite de l'intrusion de l'esprit du monde...
= par suite de l'intrusion des "profiteurs"...
Acceptez donc que nous vous "infusions" sans cesse
cet esprit nouveau de l'Evangile.
Et vous, infusez-le partout où vous vous trouvez... Alors le monde changera
en profondeur...
VIEILLES PEAUX !...
« Vous êtes des vieilles peaux... » Voici comment cet entraîneur de jeunes que fut le Père Doncur traduisait la leçon que Jésus donne aux Pharisiens dans le passage de l'Evangile d'aujourd'hui.
Ces Pharisiens légalistes, rigoristes, jeûnaient pour être en règle avec la loi et aussi pour passer pour des gens mortifiés aux yeux du monde. Jésus leur oppose son message de fête et de joie. Il venait, en effet, annoncer la "bonne nouvelle" que Dieu, dans sa folle tendresse pour l'homme, a voulu en sa personne épouser notre humanité. Comment un tel message n'apporterait-il pas la joie ? Sans doute les chrétiens jeûneront eux aussi, ils s'imposeront des sacrifices et bien des renoncements, comme nous le dirons dimanche prochain en débutant notre Carême. Mais ce ne sera pas par rigorisme, par légalisme, par je ne sais quel masochisme et pas davantage pour passer aux yeux des hommes et de la galerie pour des gens mortifiés mais par amour, pour rappeler, par un amour plus généreux, cet époux divin qu'ont éloigné nos froideurs, nos défaillances, nos trahisons et aussi pour entraîner cet amour dans la lutte, pour l'entraîner à surmonter tous les obstacles, afin qu'aucune difficulté ne le prenne au dépourvu.
Oui, c'est tout autre chose ! C'est un esprit tout nouveau qui ne peut rentrer dans leurs vieilles catégories, ni dans leurs cœurs racornis. C'est un vin généreux qui fera éclater toutes ces vieilles outres. Aussi bien dira le Christ : « A vin nouveau, outres neuves ! ».
Ceci m'amène mes bien chers frères, à vous exposer aujourd'hui comment je vois le plan de ce que nous d'abord, vos prêtres, et vous ensuite, nous avons à apporter au monde.
Pour réformer le monde, pour changer le monde, pour améliorer le monde, il faut changer l'esprit, changer les mentalités.
La réforme des lois, des structures, des coutumes, n'aboutira à un résultat que si on change les mentalités. Sans ce changement, l'homme sera toujours assez astucieux pour contourner la loi, pour échapper aux structures. Changez au contraire l'esprit, changez les mentalités, changez les idées et les vieilles institutions, et les vieilles lois d'injustice et d'oppression sauteront ! « A vin nouveau, outres neuves ! »
Un exemple entre bien d'autres. Quand cette vérité prêchée par le Christ que tous les chrétiens sont égaux quels que soient leur race ou leur rang social parce qu'ils sont tous les enfants d'un même Père, quand cette vérité enseignée par le Christ a pénétré dans les cœurs, quand elle est devenue conviction, quand on a été bien convaincu que le patricien chrétien et que l'esclave chrétien étaient frères, alors il est devenu impossible, impensable que le premier traite le second comme une bête de somme. Ce que n'avaient pu obtenir les guerres des esclaves, ce que n'avait pu obtenir la force, cet amour fraternel l'a réalisé : l'esclavage a été aboli.
Pour le mieux-être de l'homme sur la terre, il faut donc avant tout changer les mentalités et ce changement des mentalités, c'est le travail spécifique qui nous incombe avant tout à nous, vos prêtres, et ensuite à vous, chrétiens.
Mais, me direz-vous, peut-on changer la mentalité du monde ?... Cela est disproportionné à nos forces, à nos possibilités....
Je vous répondrai que le Christianisme a bien réussi déjà à plusieurs reprises ce tour de force.
On ne peut nier que les chrétiens aient contribué très largement à changer la mentalité qui régnait dans la Rome décadente.
On ne peut nier que le Christianisme ait contribué à adoucir les mœurs des Barbares lors de leurs invasions.
On ne peut nier que ce sont les missionnaires qui ont apporté ce qu'il y a de meilleur dans notre civilisation à tant de peuples et de peuplades dans les pays de mission...
Comment s'y prendre ? Pour arriver à ce résultat il faut être réaliste.
Il faut que chacun de nous se fixe une tâche à sa mesure, une tâche concrète, sous peine de voir tous nos bons désirs, tous nos efforts se perdre dans l'azur !
A supposer déjà que tous les prêtres responsables d'une paroisse ou d'une communauté chrétienne s'emploient de toutes leurs forces, de toute leur énergie, avec une persévérance opiniâtre à changer la mentalité du groupe dont ils sont responsables, mettons même seulement la mentalité des chrétiens pratiquants, vous voyez ce que cela ferait dans le monde ?... Quel ferment ils y apporteraient ?
Mais pourquoi parler au conditionnel ? Ne peut-on parler au présent ? Toutes les fois que nous essayons ainsi de changer la mentalité de nos chrétiens, de la rendre plus authentiquement évangélique, n'est-il pas vrai qu'il y a des répercussions formidables ? D'autant plus que rendre nos communautés chrétiennes plus évangéliques, donc plus justes, plus fraternelles, plus vraies, plus généreuses, c'est y insuffler une nouvelle dose de joie ! Il fait meilleur y vivre et par le fait même ces communautés deviennent plus attractives ! Vous chrétiens qui y savourez la joie qu'on ressent à vivre de cet esprit, de cette mentalité du Christ, vous rêvez de l'apporter partout où vous allez, dans votre famille, dans votre quartier, dans votre milieu de travail et jusque dans vos loisirs... Oui, cela fait "boule de neige" ! On l'a vu maintes et maintes fois !
Pour rendre de plus en plus évangélique la mentalité de nos chrétiens, de nos communautés chrétiennes, je pense, de par ma petite expérience personnelle, que nous avons pour cela, nous prêtres, deux grands moyens entre autres :
D'une part notre messe dominicale. Si cette messe est fervente, si on y chante de tout son cœur, de toute sa voix la grandeur de notre Dieu, de notre Christ, la beauté de son idéal, si ces messes sont fraternelles, si nous comprenons que pour nous approcher de l'autel il faut, comme nous le dit le Christ (Saint Matthieu, ch. 5 ,v. 23-25) que nous soyons en parfait accord avec nos frères, si nous comprenons, comme le dit Saint Paul (lère aux Corinthiens, ch. 10, v. 17) que, partageant le même pain, recevant le même Christ, nous ne devons vraiment former qu'un seul corps ; si, au cours de ces messes lors de l'homélie, nous présentons l'Evangile, l'idéal de Jésus-Christ, de manière à faire vibrer vos cœurs, de manière à vous donner de plus en plus le désir de le réaliser, de manière à susciter en vous cet enthousiasme sans lequel on peut rien faire de bon ; si, au cours de ces messes, nous prenons conscience de cet amour fou du Christ qui pour nous, pour tous nos frères, renouvelle son sacrifice ; si nous lui demandons de nous inoculer son amour pour son Père et son amour pour nos frères, alors je gage - j'en ai même la certitude parce que je l'ai vu - que peu à peu la communauté chrétienne et chacun des membres qui la compose se transformera, que peu à peu l'idéal du Christ pénétrera dans nos vies, que non seulement il convaincra nos intelligences mais il échauffera nos cœurs et émouvra même notre sensibilité. Nous saisissant ainsi tout entiers, il passera aisément dans nos vies.
Un autre moyen dont nous disposons pour transformer, changer les mentalités et les rendre plus évangéliques, c'est - je m'excuse d'y revenir encore - le sacrement de pénitence ou, comme l'on dit plus exactement aujourd'hui, le sacrement de la Réconciliation. A la messe, nous agissons sur la Communauté toute entière. Dans ce sacrement de Pénitence, nous agissons sur chacun de ses membres. Si dans ce sacrement nous nous branchons sur Dieu pour vous aider avec sa lumière à détecter les aspirations nobles et profondes que sa grâce suscite en vos cœurs, si nous avons le souci de tisonner ces ambitions, ces aspirations, si nous essayons de tout notre cœur de vous montrer la beauté de notre idéal chrétien contrastant avec nos défaillances, si tout cela est amplifié, surnaturalisé, porté à un plan beaucoup plus haut par la grâce du sacrement, alors je suis sûr - là encore parce que je l'ai vu de mes yeux - qu'une transformation profonde se fera dans les cœurs, dans les âmes, dans les esprits.
Hélas ! trop souvent aujourd'hui, nous prêtres, nous négligeons ces deux moyens extraordinaires que Dieu nous a donnés pour remplir notre ministère, notre service, notre rôle de transformer les mentalités. Certains croient faire un travail plus efficace, plus utile en se lançant dans l'action politique. Quelle erreur ! Je comprends que si le prêtre considère son rôle comme celui d'un administrateur, même d'un administrateur de sacrements, ce rôle ne puisse l'empaumer, l'enthousiasmer et prendre toute sa vie... Il faut aller plus loin, voir le but des sacrements eux-mêmes qui est de nous transformer, de nous faire vivre à l'image de Jésus-Christ, de l'Esprit de Jésus-Christ. Et pour que ce but de transformer nos chrétiens, de rendre nos communautés paroissiales plus évangéliques, nous saisisse tout entiers, nous, vos prêtres, pour que toute notre vie soit braquée là-dessus, il faut que nous ne cessions d'étudier cet idéal du Christ, de le contempler, de l'admirer, de le chanter, afin qu'il devienne la seule et unique préoccupation de toute notre vie, la seule chose qui nous passionne vraiment. C'est à cette condition, et à cette condition seulement, que notre parole et que notre vie seront persuasives, et que nous pourrons susciter cet enthousiasme sans lequel rien de grand ne se fait, sans lequel il n'y a pas de joie et d'épanouissement.
C'est pour cela que nous avons pensé qu'une vie à l'instar de celle des moines qui ont pour unique but de réaliser de mieux en mieux l'idéal évangélique, c'est pour cela que nous avons pensé qu'une vie de ce type était la meilleure façon de nous rendre aptes à remplir correctement notre ministère, notre rôle unique et spécifique dans le monde.
D'autant que c'est constamment que nous devons vous rappeler, vous chrétiens, à cette authenticité évangélique.
D'abord Parce que plongés, immergés dans un monde qui n'a pas cet esprit, vous risquez de vous laisser peu à peu imprégner par un esprit tout autre, par l'esprit de ce monde.
Mais nous devons aussi veiller constamment à cette authenticité évangélique pour un autre motif. Je vous disais que, dans la mesure où une communauté devient évangélique, il fait bon y vivre. Cet avantage pourra en attirer beaucoup. Il pourra se faire alors que certains veuillent en profiter sans y mettre le prix. Je veux dire que certains risqueront d'y venir pour jouir de cet avantage mais sans renoncer pour autant personnellement aux habitudes, aux coutumes du monde, et c'est là que tout peut se gâter si nous ne sommes pas vigilants. Que de fois l'Eglise, hélas ! en a fait la douloureuse expérience. Tant qu'elle fut persécutée, tant qu'on risquait sa vie ou ses biens en se faisant chrétiens, i1 n'y avait guère de danger que l'on rentre dans la communauté dans l'Eglise par intérêt, sans vouloir en épouser l'esprit. Mais, quand au temps de Constantin, l'Eglise fut officiellement reconnue, quand elle fut même protégée par le pouvoir, on pouvait alors avoir intérêt à se dire chrétien sans vouloir l'être vraiment et cela a tout gâté ! Que de fois, à un niveau plus réduit, nous avons pu constater la même chose dans nos groupements, en particulier dans nos groupements de jeunes ! Au début, ceux-ci étaient d'authentiques chrétiens qui voulaient vivre entre eux l'idéal du Christ dont ils faisaient la charte ou la loi de leur groupe. Alors la joie, l'entrain, la fraternité l'épanouissement de tous ceux qui en faisaient partie, en attiraient beaucoup d'autres. Parmi ceux-ci trop souvent hélas, se sont glissé des "profiteurs" qui voulaient profiter, en effet, de cette atmosphère qui leur paraissait unique, qu'ils ne trouvaient nulle part ailleurs, mais sans accepter, pour leur part, les efforts, les renoncements, voire les sacrifices que cela suppose. Alors tout s'est effondré... Finalement, ces groupements chrétiens n'ont plus eu rien de spécifique, ils ont ressemblés à tous les autres groupements, ils sont devenus inutiles...
A nous de veiller, à nous de détecter l'instant même où l'esprit se gâte, à nous de détecter d'où vient le mal, d'où vient cette déviation, pour pouvoir réagir promptement et énergiquement, au besoin par l'exclusion des "profiteurs", de ceux qui veulent profiter de l'atmosphère de ces groupements sans, malgré toutes nos instances, vouloir en adopter l'esprit, sans même vouloir essayer d'en vivre l'idéal concrétisé par la "loi" ou la "charte" de ce groupe. Ainsi le prescrit le Seigneur en Saint Matthieu (ch.18,v. 15-18) lorsqu'il parle du pécheur récalcitrant qui ne veut pas se rendre aux objurgations de ses frères.
Pour que vous tous, chrétiens, nos frères, vous puissiez remplir votre rôle dans le monde en y rayonnant un esprit tout nouveau et vraiment évangélique, acceptez donc que, sans cesse, nous nous employions, nous vos prêtres, à vous présenter d'une façon toujours neuve la personne sacrée du Seigneur Jésus et son enseignement.
Acceptez que nous réagissions énergiquement chaque fois qu'un danger de déviationnisme peut être détecté dans le comportement de chacun de vous ou de la communauté.
Croyons bien que c'est avant tout de cette façon-là que nous travaillerons efficacement à transformer le monde, à le rendre plus juste, plus fraternel, plus joyeux et plus beau, plus humain, en un mot plus évangélique.