Année B – 3ème dimanche de Carême


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

Jésus "pique" une colère !... Ca nous scandalise !
Lui, si bon !...
La colère n'est-elle pas un péché ?...

Réponse :

- Sa bonté n'est pas bonacité...
- Il y a de saintes colères... devant des choses inadmissibles.

 Les motifs de la sainte colère du Christ :

1°) Le mépris des juifs pour les païens, même les païens pieux...
(Les marchands se sont installés dans le "parvis des gentils".) Ne méprisons pas ceux qui ne partagent pas pleinement notre foi mais qui essayent d'aimer Dieu et de le prier.

2°) Le "bruit d'argent" dans le temple de Dieu.
Autrefois, ceux qui avaient plus d'argent, même s'ils n'étaient guère chrétiens, pouvaient se payer des cérémonies plus belles : c'était un scandale !

Aujourd'hui, tout le monde a la même cérémonie... le riche paye pour le pauvre : péréquation fraternelle..

Payez, si possible, pendant le Carême votre Denier du Culte destiné à l'entretien du clergé, si vous estimez que les prêtres n'ont pas trop de leur "plein temps" pour remplir leur ministère..

3°) Le manque de respect envers son Père dont on profane la maison 

 CONCLUSION : Le chrétien ne doit pas tout accepter, tout encaisser.. Il doit entrer parfois dans de "saintes colères"...

 


HOMELIE

 

CE JOUR-LA, LE SEIGNEUR A PIQUE UNE DE CES COLERES CARABINEES ! Au point que nous en serions presque scandalisés...

Comment Lui, Jésus, si bon, si doux, Il se met en colère ?... La colère n'est-elle pas un péché ?... Et voilà que saint Jean, l'Apôtre même de la charité, met cette scène de colère du Christ en exergue de son Evangile, alors que les trois autres évangélistes la placent à la fin du ministère de Jésus, au jour des Rameaux (Matthieu, ch.2l, v.12-17 - Luc, ch.19, v.45-46) ou le lendemain (Marc, ch.1l, v.11-17). Saint Jean, lui, l'Apôtre de la charité, la place tout au début du ministère du Christ et il prend soin de souligner à quel point le Seigneur y a été fort ! Alors que les autres évangélistes disent que Jésus chassa les vendeurs et acheteurs et culbuta les tables des changeurs, Saint Jean nous dit que, ramassant des cordes (il en traîne toujours sur les marchés), Jésus s'en fit un fouet et "hardi petit !" il se mit à taper dessus, et il n'y allait pas de main morte, à preuve tous ces bœufs et ces moutons, qui "se trottent". Quant aux changeurs et aux marchands ces "forts des halles" ils protestent certes : « Qu'est-ce qui lui prend ?... On a jamais vu ça... De quel droit agis-tu de la sorte ?... » Il n'empêche que, eux aussi déguerpissent parce qu'ils ont peur pour leurs côtes !...

Ah ! comme la bonté du Christ est loin de cette bonté, de cette charité doucereuse et lénifiante que l'on nous prêche aujourd'hui ! Non ! la colère n'est pas toujours un péché. Il y a de bonnes, de saintes colères ! Quand elles sont motivées par l'indignation devant des choses inadmissibles !

En une autre circonstance, Saint Marc détectera, dans le cœur du Christ, un sentiment de colère : c'est à l'occasion de la guérison de l'homme à la main desséchée, alors que ses ennemis l'épient pour voir s'il guérira cet homme bien que ce soit un jour de sabbat ! Jésus fait exprès de bien le camper devant tout le monde, puis il pose la question : « Est-il permis un jour de sabbat de faire du bien plutôt que du mal ? » Et comme eux se taisaient, Jésus, dit Saint Marc, promena sur eux un regard de colère, navré de l'endurcissement de leur cœur et il guérit le malheureux (Saint Marc, ch.3, v.4-5).

Quels sont donc les motifs qui suscitaient dans le cœur du Seigneur ce sentiment de colère ?

Dans cette scène des vendeurs chassés du temple, la colère du Christ provient, il le dit lui-même, d'un triple motif : 

Dans la construction du Temple, Dieu avait voulu, en effet, qu'il y eut un endroit où les gentils, les païens eux-mêmes pouvaient pénétrer pour venir prier si leur cœur leur en disait. Jésus, d'après Saint Marc (ch.1l, v.17) rappelle ici cette volonté de Dieu : « Il est écrit (Isaïe, ch.56, v.7) : ma maison sera appelée une maison de prières pour toutes les nations. » Or ces marchands s'étaient bien gardés d'installer leur commerce dans la partie du Temple réservé aux juifs, mais ils l'avaient installé dans le parvis des gentils. C'était défendu par la loi qui leur prescrivait de rester hors de l'enceinte sacrée ; mais les prêtres toléraient cet abus, sans doute parce qu'ils y trouvaient leur compte ! Et puis, les gentils... vous comprenez... S'ils veulent prier, eh bien, qu'ils le fassent au milieu de ce brouhaha du marché, ce sera toujours assez bon pour eux !

Cela a révolte le Seigneur ! Ce mépris pour des gens de bonne volonté qui, bien que n'étant pas juifs, veulent tout de même prier Yahvé, le vrai, Dieu ! Nous aurons l'occasion dans quelques dimanches de lire cet autre passage de Saint Jean (ch.12, v.20-24) dans quel nous verrons Jésus se réjouir, au contraire, de ce que les Grecs donc des Gentils, demandent à parler avec Lui.

Gardons-nous, mes frères de mépriser ceux qui n'ont pas le bonheur de partager pleinement notre foi, mais qui sont pleins de bonne volonté et essaient d'aimer et de prier Dieu à leur manière.

Second motif de la colère du Christ : "le bruit d'argent autour de l'autel". Il fut un temps - ça ne remonte qu'à une dizaine d'années - où bien souvent, si on ne faisait pas payer l'administration des sacrements, les pompes et les solennités qui les entouraient étaient proportionnées non à l'authenticité chrétienne de ceux qui les recevaient mais aux possibilités de leur porte-monnaie ; et l'on voyait dans nos églises cette chose paradoxale et scandaleuse d'un magnifique mariage ou enterrement, avec déploiement de pompes et de musique, pour des gens qui ne mettaient presque jamais les pieds à l'église ou dont la conduite ne serait-ce qu'au point de vue social, n'était guère en harmonie avec l'Evangile, tandis que de pauvres gens qui avaient peut-être eu bien plus l'esprit du Christ n'avaient droit qu'à une petite bénédiction parce qu'ils ne pouvaient pas se payer ce déploiement de solennités. Sans doute les chantres et les musiciens professionnels ont droit à leurs honoraires, mais, là aussi, trop souvent, le clergé tolérait cela parce qu'il y trouvait son avantage !... Nous nous faisons gloire, pour notre humble part, d'avoir été parmi les premiers à essayer de combattre ces inégalités scandaleuses en établissant dès 1946 ce qui aujourd'hui est devenu la règle : que tous, sans distinction de rang social ou de fortune, auraient une même cérémonie belle et digne, chacun faisant une offrande selon ses possibilités pour couvrir les frais, essayant de faire comprendre au riche que l'esprit chrétien demandait que son offrande plus importante permette d'offrir éventuellement, même gratuitement, la même cérémonie au moins favorisé.

Aujourd'hui enfin on commence à arriver, au moins dans ce domaine et c'est déjà un signe précurseur, à une certaine péréquation et à une certaine entraide matérielle qui devraient aller de soi pour une communauté de "frères dans le Christ" ! Dans nos diocèses de la zone parisienne, figurez-vous qu'on est même arrivé à obtenir cette péréquation entre tous les prêtres : ils envoient tous toutes les offrandes de quelque ordre qu'elles soient, à l'évêché et celui-ci donne à chacun le même traitement : actuellement dans notre diocèse il est de 1 200 francs par mois. En tout cas, je crois que vous pouvez nous rendre ce témoignage que, confiants dans votre esprit chrétien, nous avons toujours montré une grande discrétion et même un certain scrupule à solliciter votre générosité ; comme nous pouvons, de notre côté, rendre ce témoignage que, dans toutes les paroisses qui nous ont été confiées, nous n'avons jamais été déçus sur ce point et que nous avons, toujours eu, sans avoir à multiplier les appels, tout ce qui nous était nécessaire aussi bien pour nos œuvres que pour notre entretien personnel... Au fond, c'est une question d'esprit.

Seulement, comme chaque année, nous profitons du Carême pour vous rappeler de verser, au moment où cela vous gêne le moins, votre "Denier du Clergé" destiné justement à l'entretien de vos prêtres, si toutefois vous pensez que ceux-ci n'ont pas trop de "plein temps" pour remplir correctement leur ministère (vous pouvez même vous rendre compte, puisque notre maison vous est ouverte à toute heure, que pour ce faire, du moins dans nos cités, ce ne sont pas des journées de 8 heures qu'il nous faut pour cela, mais bien plus souvent de 14, 15 et même 16 heures... ) Dans ce cas, qui pourvoira à notre subsistance si ce n'est vous, chrétiens pratiquants ? De notre côté, il est stipulé au n°103 de nos Constitutions : « Par leur voeu de pauvreté, nos religieux s'estimeront doublement obligés à la loi imposée par Dieu à tout homme d'avoir gagner son pain "à la sueur de son front". Ils se considéreront donc comme gravement obligés par ce voeu à un travail acharné, s'estimant n'avoir droit, comme religieux ou comme prêtres, à la charité des fidèles que dans la mesure où les labeurs du ministère les absorbent au point de ne plus leur laisser le temps nécessaire pour pouvoir subvenir, eux-mêmes, à leurs besoins matériels. »

Il serait révoltant que nous pensions parce que prêtres ou religieux, avoir le droit de vivre tranquillement et béatement en parasites, aux crochets des autres...

Enfin, dans le passage d'Evangile, Jésus proteste surtout contre un manque de respect envers son Père dont on profane la maison en en faisant une maison de commerce !

L'honneur, le respect, la gloire de son Père, voilà bien ce que Jésus exige et veut défendre avant toute autre chose. Il dira lui-même aux juifs que lui « il honore son Père ! » (St Jean ch.8, v.49). Au jour des Rameaux, Jésus surmontera l'émoi de sa nature sensible à la pensée de sa Passion, en songeant qu'elle rendra gloire à son Père en montrant aux yeux de tous qu'Il a droit à cet amour éperdu. « Maintenant mon âme est troublée, dira-t-il, et que vais-je dire : Père, sauve-moi de cette heure... ? Mais non ! c'est pour cela que je glorifie ton nom. » (St Jean, ch.12, v. 17-28). Aussi, dans son ultime prière au soir du Jeudi Saint, Jésus pourra résumer toute sa mission ici-bas en ces mots : « Je T'ai glorifie sur cette terre, j'ai ainsi achevé la mission que Tu m'avais donnée... J'ai manifesté Ton Nom (c'est-à-dire ta Grandeur, ta Beauté, ta Bonté) aux hommes que tu m'as donnés ! » (St Jean, ch.17, v.4 et 6). Il nous demandera à nous, ses disciples, de poursuivre cette mission et de nous conduire de telle manière que « les hommes, en voyant nos bonnes œuvres glorifient notre Père qui est dans les cieux. » (St Matthieu, ch.5, v.16) Aussi bien nous fera-t-il demander dans notre prière quotidienne : « Père, que ton Nom soit sanctifié ! Que ton règne vienne ! »

Ce souverain respect de Dieu, c'était déjà l'objet des trois premiers commandements du Décalogue que nous avons entendu dans la première lecture.

Le premier : reconnaître que Dieu est l'Unique, l'inégalable, qu'il n'y en a pas deux comme Lui, qu'il est absolument hors pair et que, par conséquent, on ne peut pas adorer des idoles...

Le second commandement : si nous avons ce souverain respect de Dieu, nous ne nous parjurerons pas. Quand nous dirons à quelqu'un : je te l'affirme en présence de Dieu, en ayant bien conscience que Dieu m'entend, nous n'aurons pas le toupet de dire ainsi un mensonge "en pleine figure" de Dieu !

Le troisième commandement : ce respect de Dieu se traduira par le respect du jour du sabbat que Dieu se réserve pour que nous nous rappelions de façon plus explicite, ce jour-là, qu'il est "le" Créateur...

Et voyez comment, à partir de là, semblent découler tous les autres commandements - si nous ne respectons pas Dieu, le Père des pères, comment respecterions-nous nos parents (4ème commandement) ? Comment respecterions-nous la vie humaine, la vie de cet homme créé à l'image de Dieu (5ème commandement) ? Comment respecterions-nous l'amour humain si nous ne respectons pas celui qui est "Amour" (6ème commandement) ? Si nous ne respectons pas les droits de Dieu sur nous, le domaine de Dieu sur nous, comment respecterions-nous le domaine de l'homme sur les objets qui lui appartiennent (7ème commandement) ? Celui qui ne respecte pas la vérité essentielle, ontologique, celui qui ne vit pas cette vérité sur laquelle repose l'existence du monde et sa propre existence, à savoir que nous sommes des êtres créés donc dépendant dans leur existence même de Dieu, comment respecterait-il les autres vérités qui par rapport à celle-là ne sont que secondaires (8ème commandement) ?...

Oui, enlevez ce souverain respect de Dieu : toute valeur morale s'écroule, enlevez Dieu : il n'y a plus d'absolu qui tienne ! Donc, plus d'idéal, plus d'honneur, plus de beauté, plus de grandeur, plus de noblesse... plus de respect pour qui que ce soit. On sombre dans la laideur, dans la vulgarité, dans le débraillé dans le laisser-aller, dans le caprice, dans les instincts et les passions... N'est-ce pas ce que nous constatons aujourd'hui autour de nous ?...

Aussi combien la spiritualité de notre Père saint Benoît nous semble plus opportune que jamais pour remettre le monde "sur ses pieds" ! En effet, saint Benoît base toute sa règle, toute sa spiritualité sur ce qu'il appelle "la crainte de Dieu", "timor Dei " en latin... Cela ne veut pas dire "la frousse de Dieu", mais le fait d'être impressionné par sa Grandeur Infinie et d'avoir ainsi pour Lui un incommensurable respect... c'est cela l'esprit d'adoration. C'est pour cela que saint Benoît nous fait chanter cette grandeur du Seigneur à longueur d'office afin que nous en soyons tout imprégnés... Tout, ensuite, découlera de là...

Nous voudrions aussi que ce soit là la caractéristique spécifique de notre ministère... Rendre à notre monde ce Sens de Dieu, ce sens de la Grandeur de Dieu, et c'est là toute notre ambition !

Pourquoi ne nous liguerions-nous pas, tous ici pour propager ce culte de la Grandeur de Dieu, ce culte de ce Temple de Dieu qu'est l'humanité de Jésus, comme il le dit lui dans cet Evangile, parce qu'en elle, comme le dit saint Paul, la plénitude de la divinité s'est comme engouffrée, a pris corps ?

Retrouvons aussi le culte de notre charte, de notre idéal, reflet de cette grandeur et de cette beauté divines. Voyez, dans la première lecture d'aujourd'hui, Dieu avait promis à son peuple d'être son allié, son protecteur dans la mesure où il serait fidèle à cette charte des dix commandements que Moïse avait mis 40 jours à élaborer avec le Seigneur... Pour nous aussi, notre culte de la Beauté et de la Grandeur de Dieu, notre admiration de Dieu, se traduiront par le souci de l'imiter, "d'être comme papa" si je puis dire, en étant fidèles à notre charte, à notre loi, à notre idéal.

Enfin, j'y reviens, l'ambiance de nos églises peut beaucoup contribuer à créer ce souverain respect du Seigneur. Et là, encore une fois, attention ! Je sais bien que la politesse n'est guère à la mode de nos jours. Cependant, pour qui garde encore un brin de politesse, quand on entre chez quelqu'un, la moindre des choses est de saluer d'abord le maître ou la maîtresse de maison. Or, regardez ce qui se passe quand on entre dans une église. C'est la maison du Seigneur, il l'habite et, pour nous, cette présence est bien concrétisée puisqu'il y a l'Eucharistie. Mais, qui pense à saluer d'abord le Seigneur ?... On arrive là. C'est un peu comme au marché ou comme sur la place publique, on n'oublie pas de se saluer, de s'embrasser... On bavarde de choses et d'autres, mais l'hôte divin, on l'oublie ! Tout de même, il me semble que lorsqu'on entre chez une personne de cette envergure, tout en l'aimant profondément, on devrait avoir "la chair de poule" ! En tout cas, entrer avec un très grand respect et commencer par l'adorer.

Pensant au saisissement que l'on ressent quand on entre dans la basilique de Saint-Benoît-sur-Loire lorsque les moines y chantent leur office, ou quand on entre dans telle église de trappistes qui, dès l'aurore, chantent les louanges du Seigneur, je me dis que, puisque nous sommes des bénédictins, nous pourrions peut-être, pour créer une atmosphère similaire, mettre avant nos messes quelques disques de ce chant grégorien qui a un si grand pouvoir d'incantation. Certes, il est très bien qu'au cours de la célébration nous chantions dans notre langue, pourvu que ces chants ne soient pas des mièvreries mais traduisent les textes liturgiques en en conservant la virilité et l'ampleur... (Nous avons même édité la toute première fiche de chant de Psaume en français), mais je pense que ces disques, avant la messe, contribueraient déjà à créer l'atmosphère de prière, de recueillement et d'adoration dont ils sont issus...

Oui mes frères, cet évangile nous montre une fois de plus que bonté n'égale pas bonacité que la bonté ne consiste pas à tout encaisser, mais qu'à l'exemple de notre Maître, il faut que nous ayons assez de personnalité pour savoir piquer de saintes colères et réagir avec énergie quand certaines valeurs absolues, comme le souverain respect dû à Dieu et à nos frères, sont bafouées... ou mises en cause...

Seigneur ! Donne-nous le sens du sacré et aide-nous à le rendre à notre monde désacralisé ! Donne-nous ta divine énergie pour défendre ton honneur et celui de ton Père qui est aussi le nôtre !

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