Année B – 5ème dimanche de Carême


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

Qu'est-ce que la religion ?

Non pas les prières et les rites...
Mais la vie vécue sous le regard et en dépendance de Dieu...

- Dieu nous crée à chaque instant ... Nous dépendons ontologiquement de Lui...
- La religion consiste a vivre cette vérité...

Les exercices religieux :

- ont pour but de nous imprégner de cette vérité et de demander à Dieu de nous aider à la réaliser...
- si la prière ne débouche pas sur la vie, elle ne sert à rien... (texte de Saint Luc).

Dieu préfère que nous lui montrions notre amour par des actes plutôt que par des paroles ... comme les parents...

Il a tout disposé en conséquence le monde...

Les exercices religieux ont donc une priorité psychologique...

Le Sacrifice, en particulier, a pour but de nous rappeler de façon impressionnante que Dieu est notre Maître... - Exemple du fermier

Les hommes ont oublié ce but ... et cru que Dieu y trouvait sont compte... Dieu n'en a plus voulu...

Dieu a envoyé son fils pour "nous montrer un peu" ce que c'est que de lui obéir...et pour nous entraîner ainsi par son exemple.. Texte de l'épître aux Hébreux...

La Messe nous remet sous les yeux l'acte suprême d'amour et d'obéissance du Christ envers son Père... pour que nous solidarisions avec Lui...

Elle doit être la source même d'où découle toute notre vie vécue en dépendance joyeuse et filiale de Dieu.

 
HOMELIE

QU'EST-CE QUE LA RELIGION ?...

Que répondriez-vous mes frères, si je vous posais cette question ?... Je gage que plusieurs d'entre vous me donneraient une réponse qui confondrait, sans doute, religion et prière, religion et exercices religieux, religion et rites ou sacrements... Confusion que nous devons combattre...

Moi, je vous réponds : la religion c'est la vie, c'est la vie vécue en dépendance de Dieu ; la religion, c'est, si vous préférez, vivre cette vérité première et essentielle dont je vous ai déjà parlé à plusieurs reprises, notre dépendance de Dieu ou, si vous préférez encore, c'est faire, sous le regard de Dieu, ce que Dieu veut que nous fassions à ce moment-là avec, de temps à autre, un élan de notre cœur vers Lui.

J'y reviens :

A chaque instant, notre être, notre existence dépendent, en définitive de Celui dont l'existence ne dépend de rien ni de personne. En d'autres termes, à chaque instant Dieu me crée, c'est-à-dire à chaque instant Dieu me pense et me veut. Nous sommes comme une pensée de Dieu "objectivée". Si Dieu s'arrêtait de nous penser et de nous vouloir, nous n'existerions plus.

Puisque donc Dieu nous crée à chaque instant, tous nos instants sont à Lui. Dieu ne pourrait pas accepter qu'il y ait le moindre instant de notre vie qui soit "athée", "a-religieux", sans Dieu, sans se renier Lui-même de ce fait. Puisqu'à chaque instant nous dépendons de Dieu dans notre être même, nous devons, pour être dans le vrai, pour "vivre" cette vérité, vivre à chaque instant en "dépendance de Dieu", c'est-à-dire obéir à chaque instant à ce qu'il veut que nous fassions à ce moment-là. La religion consiste justement à reconnaître pratiquement cette dépendance vis-à-vis de Dieu par une obéissance de tous les instants à ses volontés, notamment par l'accomplissement de la mission qu'Il m'a confiée, je veux dire mon devoir d'état, sachant bien que Dieu ne peut vouloir que le plein épanouissement de cet être humain qu'Il a créé avec tant d'amour.

La religion ne consiste pas à dire des prières et les exercices religieux ne sont qu'un entraînement. Ils n'ont d'autre but que de nous pénétrer davantage de cette vérité essentielle de notre dépendance vis-à-vis du Seigneur et d'implorer son secours afin de la faire passer davantage dans notre vie... C'est aussi pour parler finalement avec Lui, en union avec tous nos frères.

Mais Dieu ne peut pas se contenter que nous soyons avec Lui seulement pendant la prière. Il veut que nous y soyons tout le temps, tout le temps, comme une maman ne peut supporter que son enfant s'éloigne d'elle : elle veut qu'il soit toujours avec elle.

Dieu me crée tout le temps, je lui appartiens tout le temps, je dois lui obéir joyeusement et finalement tout le temps, toutes les secondes de ma vie sont à Lui.

Si la prière ne débouchait pas dans la vie, elle ne servirait à rien. Jésus lui-même nous l'a dit : « Pourquoi me dites vous Maître, Maître (dans la prière) si ensuite vous n'obéissez pas à mes commandements ? » (Saint Luc, ch.6, v.46).

Je dirais même que Dieu préfère que nous Lui montrions notre amour par des actes, par notre obéissance fervente, plutôt que par des paroles, par des prières. Comme les parents préfèrent que leurs enfants leur montrent leur affection en leur obéissant joyeusement plutôt qu'en la leur exprimant en paroles.

Du reste, si Dieu attachait une plus grande importance à la prière, comment se ferait-il qu'il ait disposé les choses de telle façon que l'immense majorité des gens, même avec la meilleure volonté, ne peuvent lui consacrer qu'un temps relativement bien court dans leur vie ? Car enfin, si cette mère de famille est tellement prise par ses obligations familiales, c'est bien parce que Dieu a ainsi disposé les choses que ses enfants ont constamment besoin d'elle... Si l'homme est tellement pris par son travail, s'il doit y consacrer la majeure partie de son temps, c'est bien parce que Dieu veut qu'il gagne sa vie et celle de sa famille... A l'un comme à l'autre, il ne restera que quelques instants bien courts pour une prière hâtive mais qui sera l'offrande de la journée, l'offrande du devoir d'état accompli joyeusement comme hommage filial à la volonté du Père.

Si la prière a une priorité, c'est une priorité par rapport à nous et une priorité psychologique en ce sens que pour vivre ainsi constamment et consciemment en dépendance de Dieu, nous avons besoin de penser de temps à autre que nous dépendons du Seigneur, qu'Il est Notre Père, de penser à toutes les raisons que nous avons de lui montrer notre amour en lui obéissant et de lui demander de nous aider à le faire...

C'est justement pour cela que, parmi tous les exercices religieux, le plus important, c'est le Sacrifice.

Il est au centre même de la religion, je dirais même qu'il en est la source parce que justement il nous rappelle de façon plus impressionnante pour notre nature sensible, que Dieu est notre Maître, que nous dépendons totalement de Lui et que, par conséquent, nous devons Lui obéir. 

D'où vient, en effet, que dans toutes les religions, au centre de toutes les religions, nous retrouvions le sacrifice ?

L'exemple du fermage nous aidera à comprendre. Quand un propriétaire affermait une terre, le fermier donnait à celui-ci, pour reconnaître son droit sur cette terre, une part de la récolte. Pour bien se rappeler que Dieu était leur Maître, que tout lui appartenait, puisqu'en définitive tout dépend de lui, les hommes ont pris l'habitude de lui offrir les "prémices" de leurs récoltés, les premiers-nés de leur troupeau et même parfois, chez les nations païennes, les aînés de leurs enfants. La loi de Moïse réagit contre cette dernière coutume en prescrivant que le premier-né des humains serait remplacé par un animal. Et comme cela aurait été trop facile une fois qu'on avait offert ou donné une chose à Dieu de la remettre dans sa poche, on la détruisait, on l'immolait et on la brûlait...

L'importance de ce geste du sacrifice était donc d'ordre psychologique, il était dans sa signification : il était destiné à rappeler de façon impressionnante à l'homme que Dieu était son Maître et que donc il devait lui obéir...

Or peu à peu, les hommes ont oublié le sens de ce geste... Ils se sont arrêtés au geste lui-même. Ils ont fini par croire que ce geste était fait non pas pour eux, pour faire pénétrer en eux une vérité capitale pour la conduite de leur vie, mais pour Dieu, que Dieu y trouva tout son avantage, qu'ils faisaient un cadeau à Dieu... Ils ont pris Dieu pour un potentat oriental qui, moyennant quelques salamalecs auxquels il tiendrait par dessus tout, nous laisserait la paix. Ils ont fait consister la religion dans les prières, les rites, en un mot dans les exercices religieux.. Ceux-ci accomplis, on était quitte avec Dieu, on lui avait donné "sa part" ! Comme si Dieu pouvait se contenter d'une part ! Comme si tout ne lui appartenait pas, comme si son amour pouvait accepter que la majeure partie de la vie de ses enfants lui échappe !

Nous voyons dans les psaumes que Dieu a protesté contre cette conception de la religion et notamment contre cette conception des sacrifices :

« Ce n'est pas pour tes sacrifices que je te fais des reproches ;
tes holocaustes sont constamment devant moi.
Je ne prendrai pas de ta maison un taureau,
ni des boucs de tes bergeries...

Car tous les fauves des forêts sont à moi
et les animaux sur les montagnes par milliers.
Je connais tous les oiseaux du ciel
et toutes les bêtes des champs m'appartiennent
.

Si j'avais faim, je n'irais pas te le dire,
car le monde est à moi et tout ce qu'il renferme.
Est-ce que je mange là chair des taureaux,
est-ce que je bois le sang des boucs ?

Offre plutôt à Dieu un sacrifice d'action de grâces,
et accomplis tes vœux (tes promesses) envers le Très-Haut...

Mais que viens tu débiter mes commandements,
qu'as tu mon alliance à la bouche,
toi qui détestes la règle
et rejettes mes paroles derrière toi... » (Psaume 49,V.8-17)

 L'homme avait perdu complètement le sens du Sacrifice et sa signification de rappel impressionnant de la maîtrise de Dieu pour que nous soyons ensuite tellement imprégnés de cette vérité qu'elle se traduise dans notre vie par l'obéissance parfaite au Seigneur. C'est justement parce que l'homme avait perdu totalement ce sens du Sacrifice que Dieu a rejeté ces sacrifices désormais inutiles parce qu'insignifiants et qu'Il nous a envoyé son Fils "pour nous montrer un peu" ce que c'est que d'obéir filialement à Dieu.

 Voici, en effet, les paroles que l'auteur de l'Epître aux Hébreux met sur les lèvres du Christ à son entrée dans ce monde :

« En entrant dans le monde, le Christ dit : "Tu n'as voulu ni sacrifice, ni oblation, mais tu m'as façonné un corps. Tu n'as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les pêchés. Alors j'ai dit : voici, je viens, car c'est de moi qu'il est question dans le rouleau du Livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté." » (Hébreux, ch.10,v.5-8).

 Voilà le but de la venue du Christ parmi nous : nous apprendre l'obéissance à son Père. Il le dira lui-même : « Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais celle de Celui qui m'a envoyé. » (Saint Jean, ch.5, v.30 - ch.6, v.38) Ce sera le leitmotiv de tout ce que fera le Seigneur Jésus durant toute sa vie, il ne cessera de répéter : « La volonté de mon Père, c'est que je fasse ceci. La volonté de mon Père, c'est que je fasse cela... »

Et cette volonté, j'ai déjà eu d'autres occasions de le souligner mais les textes de cette messe nous le crient à nouveau, Jésus l'accomplira coûte que coûte.

« Le Christ, nous disait l'Epître de tout à l'heure, pendant les jours de sa vie mortelle, a présenté avec un grand cri et dans les larmes sa prière et sa supplication à Dieu qui pouvait le sauver de la mort et, parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé. Tout Fils (de Dieu) qu'il était, il a pourtant appris l'obéissance par les souffrances de sa passion et ainsi... il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent (qui le suivent) la cause du salut éternel. »

Et dans l'Evangile, Jésus se réjouit en accueillant ces Grecs, ces gentils qui veulent le voir et qui lui apparaissent comme les prémices de tous ces païens qui se convertiront, qu'il entraînera vers son Père, mais il tremble à la mode de tout ce qu'il devra endurer pour en arriver là. Sa nature sensible semble même hésiter devant cette perspective : « Vais-je demander que cette heure tant redoutée n'arrive pas ? » Mais il se ressaisit : « Mais non ! c'est pour cela que je suis parvenu à cette heure-ci, Père glorifie ton Nom ! » C'est déjà la lutte de l'agonie du jardin des Oliviers : « Père, s'il est possible, que ce calice passe sans que je le boive, cependant non pas ce que je veux mais ce que tu veux ! » Cette agonie, cette Passion, le Christ s'y rendra, nous le savons parce qu'Il l'a dit lui, à ses disciples au sortir du Cénacle « pour que le monde sache qu'Il aime son Père et qu'il agit selon son commandement ! » (Jean, ch.14, v.30-31).

Dès lors le salut consistera essentiellement pour nous à nous désolidariser d'Adam, le désobéissant, pour nous solidariser avec le Christ obéissant, nous laissant entraîner dans son sillage d'amour et d'obéissance amoureuse et filiale à son Père.

Et cette solidarité se nouera particulièrement au Saint Sacrifice de la Messe qui nous remet sous les yeux, comme nous l'expliquions dimanche dernier, cet acte suprême d'amour et d'obéissance du Christ. Oui ! elle est donc bien, cette messe, au centre même de notre religion, c'est-à-dire, répétons le, au centre de toute notre vie vécue toute entière en dépendance joyeuse et filiale de Dieu, notre Père.

En fait, mes chers frères, en est-il ainsi ? Contribue-t-elle à nous pénétrer de cette vérité de notre dépendance vis-à-vis de Dieu ? Nous remet-elle psychologiquement en présence de cet acte suprême d'amour et d'obéissance du Christ ? Nous donne-t-elle vraiment ce désir de l'imiter, nous aussi, persuadés que Dieu qui est "notre" Père ne peut nous demander que ce qui est le mieux pour nous, ce qui contribue le plus à l'épanouissement du meilleur de nous ?

Enfin, est-ce que nous avons l'habitude à chaque messe de nous solidariser avec le Christ, d'offrir au Père, en union avec l'obéissance de son Fils, l'accomplissement joyeux de notre devoir d'état durant la semaine écoulée ou la semaine à venir ?

Ainsi se trouvera unifiée toute notre vie.

Ainsi notre religion ne sera pas à côté ou en marge – elle en sera l'âme et la sève...

 

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