Année B – Sainte Trinité


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

La louange de la Trinité par les moines...

Pris par leur devoir d'état voulu par Dieu, les chrétiens ne peuvent y consacrer que de très courts instants...

Comment Dieu a-t-il pu vouloir cela... ?

On peut dire son admiration à quelqu'un

- par un compliment : le 15 août à la maison
- en cherchant à l'imiter : l'enfant qui veut faire "comme papa"...

 

Dieu préfère cette façon.

 Mais nous sommes ainsi faits que, pour avoir envie de l'imiter et pour y réussir, nous avons besoin de le contempler et de le prier...

 

Rôle des Moines...

 

La grande révélation du Christ sur Dieu, c'est qu'il n'est pas un Dieu égoïste et solitaire, mais une trinité de personnes possédant une seule et unique nature divine...

Cela n'est pas absurde (rappel) : nature et personne ne sont pas deux termes synonymes...

 

Ce que doit être notre communauté chrétienne pour être une hymne vivante à la Trinité...

- Union par delà les différences sociales...
- Union jusque dans le domaine matériel...
- Accueil et ouverture à tous...

 


HOMELIE

 

DING-DONG...DING-DONG !

 

Le jour commence à poindre et la cloche du monastère a déjà éveillé les échos du vallon. ding-dong ! ding-dong ! A travers le cloître des fantômes blancs défilent. ding-dong ! Les voici maintenant prosternés dans la chapelle : " Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit ! " La louange de la création toute entière, passant par ces bouches humaines, monte vers la Très Sainte Trinité. C'est comme un écho des hymnes célestes, un écho de la louange éternelle...

 

Au même moment, ou à peine un peu plus tard, un humble réveille-matin sonne, ici dans une masure, là dans une chambre mansardée, là encore dans un pavillon de nos banlieues de Paris, là peut-être dans un vieux wagon, dans un igloo... Une femme se lève, un homme se lève. C'est une maman qui doit se lever tôt pour préparer tout ce qu'il faut avant que les petits partent en classe ou que l'homme parte au travail. C’est un ouvrier qui doit pointer de bonne heure à son usine et qui a un long trajet à parcourir pour y arriver. Cette femme, cet homme, même si ce sont de fervents chrétiens, n'auront pas beaucoup de temps à consacrer a cette louange de Dieu, à cette prière au Seigneur. Il y a quelque temps, une de ces mamans me confiait : " Père, à mon réveil, ma prière du matin c’est de dire simplement à Dieu : " Seigneur, ta servante se lève ! " Quelle louange en ces quelques mots, mais combien courte comparée à celle de ces moines qui vont y consacrer des heures !

 

Si le Seigneur accordait à cette louange, à cette louange des Moines, à cette louange de la sainte liturgie, un primat, pourquoi donc aurait-il condamné l'immense majorité des hommes à ne pouvoir y consacrer que quelques minutes ? Car, enfin, si cette maman est prise par des besognes si absorbantes, ses besognes maternelles, si cet homme doit gagner le pain de toute la maisonnée, c'est bien le Seigneur qui en a disposé de la sorte... ! Et cependant Dieu pourrait-il se contenter que, dans notre vie, il y ait seulement quelques minutes qui lui soient consacrées...? Quel est donc ce mystère... ? Nous nous sommes déjà posé cette question...

 

Mais en cette fête de 15 août que je passais à la Trappe, mon esprit se reportait aux 15 Août de mon enfance. Le 15 AoÛt, C'était la fête de maman. Tous, tous les enfants, nous défilions devant elle à la suite de papa, tous les dix, et moi le dernier, le benjamin, j'avais l'honneur de lui adresser au nom de tous, le beau compliment... ! Maman, certes, était contente, ravie, elle était flattée, elle voyait là un témoignage de notre tendresse, de l'admiration que nous avions pour elle...!

 

Mais je pensais aussi à ce petit gars qui, le soir, lorsque papa rentre à la maison, ouvre de grands yeux et épie tous les faits et gestes de son père. Puis, parfois en cachette, bien gauchement, bien maladroitement sans doute, essaie de faire tout ce qu'a fait papa, essaie de copier, essaie d'imiter son père, car pour lui, " être comme papa, c'est quelque chose, quelque chose de formidable... Cet enfant-là, aussi, dit à son père qu'il l'admire il le lui dit de façon plus forte encore que s'il lui adressait le plus beau des compliments et je gage que son père apprécie encore plus cette façon de lui dire Papa, tu es formidable, je veux te ressembler... ! "

 

Dieu, mes frères, est ce père. " Soyez parfaits comme votre Père du ciel est parfait ! " nous a dit Jésus. A la louange de nos lèvres, Dieu préfère la louange par nos actes. La manière la plus expressive, la plus vraie de lui dire notre admiration, ce n'est pas de la lui dire dans des louanges ou dans des psaumes, c'est de la lui dire par notre vie, en essayant de la calquer sur la sienne, en essayant de le copier, de l'imiter. Nous l'avons dit : s'il y a un primat de la louange liturgique, ce n'est pas du côté de Dieu, c'est de notre côté. Nous sommes ainsi faits que pour avoir envie de vivre "à la mode de Dieu", "à la mode de Jésus-Christ", il faut que nous le contemplions afin d'être séduits par sa beauté et, pour réussir à le faire, il faut que nous implorions son secours. Voilà pourquoi nous avons besoin de moments d'adoration muette de Dieu, et de moments de prières.

 

Voilà pourquoi il est important pour le monde qu'il y ait des monastères. Des monastères qui soient des oasis de silence, de contemplation et de prières, dans lesquels nous puissions aller nous ressourcer. Des monastères qui, par leur simple existence, rappellent au monde, crient à tous les hommes, l'absolu de Dieu et ses droits imprescriptibles, mais tout cela pour qu'ensuite, dans notre vie, nous reconnaissions pratiquement cet absolu divin et ces droits du Seigneur.

 

Contempler Dieu, prier Dieu, mais pour pouvoir ensuite l'imiter.

 

Or, parmi toutes les vérités que Jésus nous a enseignées sur Dieu, la nouvelle tout à fait sensationnelle, la nouvelle inédite qu'Il nous a révélée, c'est que Dieu, notre Dieu, n'est pas un Dieu égoïste et solitaire, qui serait replié sur lui-même, mais qu'Il est communautaire, qu'il est Trinitaire... Un seul Dieu, certes, comme le proclamaient déjà les juifs, mais trois personnes bien distinctes, le Père, le Fils et l'Esprit Saint ! Une seule et unique nature divine, mais possédée à la fois par trois personnes dont chacune ne garde rien pour elle seule : " Tout ce qui est à Moi est à Toi et tout ce qui est à Toi est à Moi dira Jésus à son Père (St Jean, ch.17, v.10).

 

Voilà ce qui, aux premiers siècles, différenciait les chrétiens des adeptes de toutes les autres religions : ils croyaient à un Dieu trinitaire.

 

Dans leurs monastères, les moines se prosternent chaque fois qu'ils chantent cette ineffable communauté divine : " Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit " mais je pense qu'il y a une façon encore plus expressive de chanter ce "gloria" et de louer la très Sainte Trinité, c'est justement d'essayer d'imiter, d'infiniment loin sans doute, mais d'imiter tout de même cette divine communauté. Jésus lui-même a eu cette ambition pour ses disciples, c'était l'objet de sa prière à son Père après la première messe, la première de toutes les communions, au soir du Jeudi Saint : " Que mes disciples soient un, qu'ils soient fondus dans l'unité, comme Toi, Père, et Moi, nous ne sommes qu'un ! " (St Jean, ch.17, v.20-22).

 

L'an dernier, lors de cette fête, je m'étais employé à vous expliquer comment ce mystère divin n'était pas quelque chose d'absurde, car nous ne disons pas qu’en Dieu il y a trois personnes et que ça n'en fait qu'une, pas plus que nous ne disons qu'il y a un seul Dieu et que ça en fait trois ! Un n'égalera jamais trois, pas même en Dieu ! Dieu, notre Dieu n'est pas un et trine sous le même aspect. Il est un quant à la nature et trois quant aux personnes. Nature et personne ne sont pas deux termes synonymes. Déjà chez nous. La Nature, c'est ce qui fait que nous sommes tous semblables, que nous sommes tous des êtres humains. La Personne, c'est ce qui nous différencie, ce qui fait que mon "moi" est différent de celui des autres ... Il est bien vrai que, chez nous, si nous avons une nature humaine semblable, pareil le, chacun de nous a la sienne et voilà pourquoi il y a autant d'êtres humains qu'i y a de personnes, tandis qu'en Dieu, les trois personnes divines possèdent, chacune à sa manière, une seule et même nature divine.. Vous vous rappelez peut-être la comparaison que je donne au catéchisme : trois garçons possèdent chacun un vélo semblable, pareil : ça fait trois vélos, ou bien tous les trois ont un seul et même vélo et ça n'en fera qu'un...

 

Cette année, puisque cette fête tombe le jour de notre kermesse, c'est-à-dire le jour de la fête de notre communauté paroissiale, attardons-nous quelques instant si vous le voulez bien, à considérer à quelles conditions cette communauté peut être une louange à la Très Sainte Trinité, selon le souhait exprimé par le Seigneur et que je rappelais tout à l'heure.

 

Pour que notre charité, notre union entre nous, soient vraiment un hommage à cette ineffable communauté divine, pour qu'elle soit, comme Jésus l'a voulu ( St Jean, ch.17, v.21-23), le signe auquel le monde reconnaîtra que nous sommes les vrais disciples de ce Jésus qui est venu nous révéler cette divine communauté, il faut que notre charité, il faut que notre union sortent de l'ordinaire. Jésus lui-même avait dit : " Si vous aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous, les publicains eux-mêmes ' n'en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? " (St Matthieu, ch.5, v.46-47).

 

Je pense donc que, pour que l'union qui existe entre nous sorte de l’ordinaire, pour qu'elle soit un signe que Jésus est vraiment l'Envoyé du -Père, donc pour qu'elle soit comme un miracle moral, il faut d'abord qu’elle transcende, queue dépasse toutes les catégories, toutes les différences sociales. Que ceux qui font partie de la même classe, qui ont les mêmes intérêts s'entendent entre eux, Mon Dieu, il n'y a là rien de bien extraordinaire ; c'est le cas de redire la parole du Christ de tout à l'heure : " Les païens eux-mêmes en font autant Mais que ceux qui appartiennent à des classes que l'on s'acharne aujourd'hui à opposer plus que jamais, arrivent à fraterniser dans l'amour du Christ et dans le souci de travailler, chacun dans son milieu, à faire prévaloir le même idéal de justice et de fraternité ... voilà qui est surprenant, voilà qui sort de l'ordinaire. Quand on pense que le christianisme, dans ses débuts, avait réussi ce tour de force que le noble patricien arrive à considérer et à traiter l'esclave, qui pour lors était la bête de somme, comme son frère, ainsi que le demandait St Paul à Philémon au sujet d'Onésime, cet esclave devenu chrétien ! Assurément, cela ne pouvait manquer d'étonner, de surprendre...

 

Pourquoi la charité du Christ qui a réussi ce miracle moral, ne pourrait-elle pas le réaliser à nouveau aujourd'hui ? Encore une fois, le fossé qui sépare aujourd'hui le patron de l'ouvrier n'est assurément pas aussi large et profond que celui qui séparait le patricien de l'esclave...

 

C'est là, du reste, que la paroisse a à jouer un rôle irremplaçable. Certes il est utile pour l'efficacité de l'apostolat qu'il se spécialise. Nous avons tous nos mouvements spécialisés qui font de l'excellent travail. Mais le danger, c’est d'oublier que le corps du Christ n'est pas un seul membre, pour reprendre l'expression de Saint Paul (1ère aux Corinthiens, ch.12, v.4-27), mais qu'il comporte plusieurs membres ayant chacun des fonctions et des dons différents et qui doivent s'entraider.

 

Or la paroisse reste le lieu privilégié où tous les chrétiens se côtoient, se retrouvent sans distinction d'âges ni de classes, particulièrement à la messe. Comment après y avoir pris conscience que le Christ a versé son sang pareillement pour chacun de nous, à quelque catégorie qu'il appartienne, comment après avoir communié au même corps du Christ, ne pas nous sentir tous rapprochés, tous frères ? Saint Paul le disait encore : " A nous tous nous ne formons qu'un seul Corps puisque nous avons tous part à un seul pain." (1ère aux Corinthiens, ch.10, v.17).

 

Un des grands promoteurs du mouvement liturgique, le Père Dom Lambert Beauduin, écrivait il y a déjà bien longtemps : " Autrefois le chrétien savait qu'il était membre de la grande Société des disciples du Christ, non pour l'avoir appris un jour théoriquement dans un texte, mais pour en éprouver tous les jours la chaude et vivifiante réalité dans l'assemblée des frères, autour du père commun et du même autel, dans la même prière et la même fraction du pain." (Questions liturgiques, 1er décembre 1911, p.26).

 

Le second point qui doit caractériser notre union entre chrétiens pour qu'elle sorte de l'ordinaire, c'est queue s'étende jusque dans le domaine matériel qui est si souvent celui de la dispute et de la chicane, celui où les intérêts s'affrontent d'ordinaire si âprement. Jésus disait à son Père : " Tout ce qui est à Moi est à Toi et tout ce qui est à Toi est à Moi ". C'est, sans doute, comme pour donner une réplique humaine à cette communauté divine, que les premiers chrétiens mettaient tout en commun (Actes des Apôtres, ch.2, v.44 et ch.4, v.32,34). C'est le cas de rappeler encore une fois, pour qu'il pénètre dans tous les esprits et dans tous les cœurs, le principe d'économie chrétienne d'après lequel nous devons mettre gratuitement au service de nos frères les dons et talents que nous avons reçus gratuitement et par pure chance : " Ce que vous avez reçu gratuitement, dit le Seigneur, donnez le gratuitement ! " (St Matthieu, ch.10, v.8). De fait, on ne voit pas du tout pourquoi celui qui a eu plus de chances, qui a été avantagé au point de départ de sa vie puisque mieux doué ou plus fortuné, aurait le droit, mériterait, de ce seul fait, d'avoir sa vie durant un standing de vie plus agréable et confortable. Vous voyez tout ce que la simple application de ce principe d'économie chrétienne pourrait entraîner comme révolution économique et sociale dans notre monte ? Quand donc les chrétiens comprendront-ils qu'ils n'ont pas à se mettre en remorque de tel ou tel système économique ou social, mais qu'ils ont là un principe bien à eux et qui va beaucoup plus loin ? Quand tous les chrétiens seront-ils tellement imprégnés de ce principe que l'ouvrier chrétien puisse être convaincu qu'il a un complice dans le patron qui partage sa foi, et qui de ce fait doit s'employer, lui aussi, à faire prévaloir ce même principe que le Christ lui-même nous a légué? Alors, les chrétiens des différentes classes sociales pourront se retrouver pour examiner à la lumière de ce principe évangélique les différents problèmes économiques et sociaux, chacun étant guidé par ce même principe mais apportant à l’autre des données qu'il ne connaît peut-être pas ... C'est la seule façon, je pense, pour que la solution soit impartiale.

 

Enfin je signalerais une autre caractéristique de notre charité. De même que notre Dieu, qui goûte en Lui-même cette joie infinie de la vie trinitaire, a voulu nous la communiquer, nous y faire participer, de même, nous sentant très bien entre nous, nous devons cependant ne pas vivre repliés sur nous-mêmes, en ghetto, mais nous devons nous ouvrir à tous les autres. C'est un point sur lequel nous avons tous à faire effort. Nous aimons nous retrouver entre nous, évoquer dés souvenirs communs et nous ne faisons pas assez attention aux nouveaux venus et à tous ceux qui nous entourent. Se sentant étrangers, délaissés-, beaucoup finissent par s'éloigner, déçus ! Intéressons-nous au contraire à eux, faisons les parler sur les sujets qui les touchent, leur faisant sentir que nous nous y intéressons, nous aussi. Bref qu'ils se sentent tout de suite intégrés dans le circuit !

 

Occasion ou jamais aujourd'hui, en cette fête paroissiale, d'appliquer ce dernier point vis à vis de tous ceux qui ne font pas partie explicitement de notre communauté, mais qui auront la gentillesse de nous rendre visite. Qu'ils se sentent accueillis, intégrés. Faisons-leur partager, nous aussi, notre joie.

 

Alors ce soir, nous pourrons nous endormir joyeux, conscients d'avoir nous aussi, par notre union, par notre charité, par notre accueil, chanté notre " gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit. "

 

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