Année C – 4ème dimanche ordinaire


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

Ne soyons pas des "cloches" qui sonnent creux... qui sonnent faux
La science sans la charité est dangereuse...
L'éloquence qui ne jaillit pas d'une charité sincère qui la rend efficace est mensongère...
Même les gestes qui normalement devraient traduire un véritable amour peuvent en être vidés...

Comment se traduit une charité véritable ?

- La charité est patiente... ce qui suppose une certaine sagesse, une certaine "philosophie''... Elle est compatissante...
- Elle "excuse tout" = souligne les circonstances atténuantes...
- Elle ne s'emporte pas...
- Elle ne se réjouit pas du mal qui arrive aux autres...
- Elle n'est ni envieuse, ni jalouse... mais heureuse du bien qui arrive aux autres...
- Elle empêche "d'écraser les autres" par suffisance : elle ne se vante ni ne s'enorgueillit...
- Elle est serviable... ne cherche pas son intérêt...
- Elle ne fait rien de malhonnête...

= elle nous fait respecter les autres ; la politesse : fine fleur de la charité...
= elle s'oppose à toutes les déviations sexuelles qui réduisent l'autre au rôle d'instrument de plaisir...

- Elle se réjouit de la vérité, s'épanouit dans la vérité...

= attention à la charité cauteleuse... elle n'est pas sincère...
= attention à la charité doucereuse... le vrai bien d'un être intellectuel, c'est d'abord ta vérité

- La vraie charité surnaturelle, c'est l’amour de Dieu lui-même traversant notre cœur pour atteindre nos frères... elle doit donc avoir les qualités de cet amour...

 CONCLUSION : Nos communautés chrétiennes doivent être des "charités"... 


HOMELIE

DES CLOCHES !... VOUS ETES... NOUS SOMMES DES CLOCHES !...

Et Saint Paul nous dit aujourd'hui : « Ne soyez pas des cloches ! » Ecoutez-le. Grosses têtes ?... zéro ! Beaux parleurs ?... zéro ! Charité ostentatoire ?... zéro, zéro, zéro !

« J'aurais beau avoir toute la science des choses divines et humaines, j'aurais beau parler toutes les langues des anges et des hommes, j’aurais beau distribuer ma fortune aux pauvres, j'aurais beau être martyr et livrer mon corps aux flammes... si je n'ai pas la charité, la vraie charité – nous dit l'Apôtre – je ne suis qu'une cymbale retentissante, une cloche qui résonne ! »

Oui ! nous ne le savons que trop : la science qui n'est pas au service d'un amour peut être dangereuse !... La science qui manque de cœur ne peut qu'engendrer orgueil et mépris des autres !... La science sans cœur a produit un monde technicisé, computorisé, un monde programmé par ordinateur, mais un monde qui n'a plus d'âme ! Un monde qui devient dès lors inhumain !

Et les beaux parleurs ? Le monde en regorge aujourd'hui, de beaux parleurs, de ces beaux parleurs qui, tels les Pharisiens dénoncés par le Christ, disent mais ne font pas... toujours parce qu'ils manquent de cœur ! Oh ! on peut fort bien parler de la charité et de l'amour, et être "rosse" comme pas un pour les autres. Que valent alors toutes ces belles paroles, toutes ces protestations ? Méfiez-vous des beaux parleurs au cœur sec ! Ce flot de belles paroles qui ne jaillissent pas d'un feu qui brûle à l'intérieur et que la charité ne rend pas efficaces, comme ça "sonne creux" !

Et comment n'être pas encore plus sur nos gardes quand l'Apôtre semble supposer que les expressions normales de l'amour et de la charité, la bienfaisance, la générosité, le martyre même, peuvent être vides d'amour, vides de charité ? Jésus là encore l'avait dit avant son Apôtre quand il avait stigmatisé la générosité ostentatoire des Pharisiens faisant de larges aumônes, non pas par charité, mais par orgueil, par égoïsme, pour se faire bien voir !... Ainsi, les gestes de l'amour pourront aussi être mensongers au point de pouvoir être commandés par un égoïsme sordide ! Alors, non seulement ça "sonne creux", mais ça "sonne faux".

Voilà bien déjà de quoi nous faire réfléchir : sommes-nous des cœurs secs ? Ou bien nos cœurs sont-ils possédés par la charité, la vraie ?...

 

La suite de cette épître va éclairer notre lanterne sur ce point. L'Apôtre, en effet, nous indique de quelle facture, de quelle qualité doit être notre charité pour être vraie... pour que ça sonne ni creux, ni faux !... Ecoutez-le encore.

La première qualité qui se présente à l'esprit de saint Paul, le premier acte que fait poser cette vraie charité, ce n'est pas d'agir ! Saint Paul ne mentionnera la serviabilité qu'en second lieu. La première expression de la charité, c'est la patience, et l'Apôtre y reviendra plusieurs fois dans cette énumération : « La charité est patiente » dit-il en premier lieu. « La charité endure, supporte tout » dit-il en fin de son énumération. Se supporter : c'est peut-être ce qui coûte le plus. Agir : oui, mais encaisser, c'est autre chose !... Cela demande une grandeur d'âme qui nous mette au dessus de toutes les petites mesquineries, de tous les défauts du prochain... Cela suppose une certaine sagesse, une certaine philosophie qui ne s'étonne de rien de la part d'êtres faibles comme le sont tous les humains (et nous savons bien que nous faisons tous partie de ce lot).

« La charité supporte tout »... Dieu sait si ce support mutuel est nécessaire si nous voulons faire communauté ! Saint Benoît le réclame avec insistance de la part de ses moines : « Qu'ils supportent très patiemment (il met le mot au superlatif) les infirmités des autres, tant celles du corps que celles de l'esprit ! » (Règle, ch.72). Et saint Paul disait aux Galates (ch.6, v.2) : « Portez les fardeaux les uns des autres et vous accomplirez ainsi la loi du Christ... »

Même lorsque nous devons, de par notre charge ou par charité fraternelle, corriger les défauts, quelle patience, quelle longanimité il nous faut ! Ce n'est pas en un jour que l'on change quelqu'un, nous le savons par notre propre expérience. De quelle patience Dieu a besoin à notre égard !... Traitons les autres comme nous voulons que Dieu nous traite ! Le Christ nous l'a assez recommandé.

Patience, cela veut dire aussi, je pense, pâtir avec, compatir... supporter les épreuves avec les autres... prendre ces épreuves à notre compte... C'est bien là une des pierres de touche de la véritable charité. Combien d'amis qui s'éloignent quand on est dans la maladie, dans l'épreuve ou dans la difficulté !

Ce sera aussi cette sagesse de la vraie charité qui lui fera « excuser tout », comme le dit saint Paul... Au lieu de céder au penchant que nous avons tous si facilement de "charger" le prochain, elle nous fera chercher toutes les circonstances atténuantes...

Ainsi elle tempérera notre indignation et notre colère. « La charité ne s'emporte pas, ne s'irrite pas... » elle est compréhensive... Elle nous poussera à ne pas garder rancune. Il est bien évident que nous avons d'autant plus de peine à pardonner que nous jugeons plus coupable celui qui nous a blessé, peiné, manqué... La rancune, voilà bien ce qui éternise les guerres, voilà bien ce qui crée les fossés, les séparations... La rancune est mère de la vengeance et l'esprit de vengeance est à l'antipode de ce que Jésus nous demande : « pardonnez si vous voulez être pardonnés », « pardonnez-nous comme nous pardonnons, nous aussi. »

« La charité ne se réjouit pas du mal ! »...du mal, je pense, qui arrive aux autres !... Sous ce sourire narquois, en effet, sous cette exclamation : « C'est bien fait pour lui ! » lorsqu’il arrive quelqu'ennui à notre prochain, se cachent encore vengeance et rancune...

« La charité n’est pas jalouse, elle n'est pas envieuse. » Qu'est-ce que la jalousie, qu'est-ce que l'envie ? Certes, il n'est pas défendu à un chrétien de souhaiter avoir les mêmes chances, les mêmes avantages que les autres. Ce que lui défend la charité c'est de s'attrister de voir les autres plus chanceux, plus heureux que lui, c'est surtout de vouloir leur enlever ces avantages... Au contraire, si la vraie charité habite notre cœur, si nous aimons vraiment les autres, nous ne pouvons que leur souhaiter le plus grand bien possible...

Mais il peut arriver, au contraire, que ce soit nous qui ayons l'avantage sur les autres, parce que, par exemple, nous sommes plus doués, plus instruits, mieux placés... Dans ce cas, que nous fera faire la vraie charité ? Tout d'abord elle nous empêchera d'écraser les autres en faisant étalage de notre supériorité, en fanfaronnant, en étant hautains, en les regardant de notre hauteur. « La charité ne se vante pas, elle ne s'enorgueillit pas... »

Puis ces avantages que nous avons, la charité nous les fera mettre, je l'ai dit si souvent, au service de nos frères : « La charité est serviable ! » dit l'Apôtre... et écoutez bien ceci : « Elle ne cherche pas son intérêt ! » Cela, c’est le fin du fin : pensez davantage aux autres qu'à soi-même ! Dans ses dernières recommandations à ses moines pour leur vie de communauté, saint Benoît leur dit : « Qu'ils cherchent à l'envi à se faire plaisir... que nul ne cherche ce qu'il juge utile pour soi mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. » (cf. ce même chapitre 72 de la Règle)

Voici enfin deux qualités sur lesquelles vous êtes habitués à me voir insister :

« La charité ne fait rien de malhonnête », d'autres traduisent : « ne fait rien de malséant ou d'inconvenant ! », « est le respect de l'autre, le respect de la dignité de l'autre ! » Dieu sait si on en parle aujourd'hui de ce respect de la dignité ! Ce respect devrait être d'autant plus grand pour un chrétien que, pour nous, la dignité d'un être humain, je l'ai dit souvent, ce n'est pas d'être seulement le fleuron du règne animal, c'est d'être image de Dieu et, s'il est chrétien, enfant, fils de Dieu... Qui peut dire mieux ? « Prévenez-vous mutuellement d'honneur » recommandait saint Paul aux chrétiens de Rome (ch.12, v.10). Oui, s'il est une politesse mondaine qui n'est que singerie, pure formalité et dès lors trop souvent hypocrite, il n'en reste pas moins vrai que la vraie politesse est la fine fleur de la charité chrétienne : elle suppose, en effet, délicatesse de cœur et souverain respect de l'autre...

Je vous ai donné les différentes traductions que l'on trouve de cette expression de la charité mentionnée par saint Paul. Quelle que soit la traduction adoptée, l'allusion à la pureté, à la pudeur, semble claire. Et là, que de choses à dire et à redire à ce sujet, aujourd'hui où l'on prône l'amour libre, l'amour sans engagement, l'amour "demi-portion" dans lequel, loin de donner à un être qu'on adore l'entièreté de sa vie, on n'en donne qu'une tranche, et encore à sa convenance personnelle, tant que "ça me chantera" !... Au fond l'être aimé dépend du bon plaisir, mieux du plaisir tout court, de celui qui prétend l'aimer !... C'est une attaque à la dignité du ou de la partenaire, même consentant, parce qu'il ou qu'elle se trouve réduit, ramené au rang de chose, d'instrument de plaisir. C'est aussi une attaque à la dignité même de l'amour, puisque c'est le sens du mot lui-même qui est altéré, sali, déshonoré, c'est le sens du mot lui-même auquel on fait subir une distorsion... Quel égoïsme, quelle malhonnêteté, quelles malpropretés on cache alors sous ce vocable sacré de l'amour. La langue grecque avait plus de pudeur puisqu'elle ne confondait pas l'eros, la passion, le désir sexuel, et l'agapè qui était la charité...

Vous avez remarqué, sans doute, qu'à la différence de la traduction entendue tout à l'heure dans la lecture de cette épître, j'ai toujours parlé de "charité" et non pas "d'amour". On n'ose plus aujourd'hui employer ce mot si chrétien de charité parce que, nous dit-on, dans l'esprit des gens, il évoque l'expression "faire la charité", en d'autres termes "faire l'aumône", et cette expression elle-même évoque, nous dit-on, quelque chose d'humiliant, l'octroi avec une certaine hauteur, un certain dédain, d'un don qui, bien souvent du reste, n’est qu'un dû...

A mon humble avis, il me semble que malgré tout le mot "amour" est aujourd'hui autrement équivoque, non seulement parce qu'au point de vue sexuel il recouvre bien des turpitudes, non seulement parce que trop souvent les gens qui n'ont que ce mot à la bouche sont drôlement "rosses" pour les autres, surtout s'ils ne partagent pas leurs idées, mais aussi parce que l'amour du prochain tel qu'on le prône est souvent bien déliquescent !...

 

Et voici l'autre expression de la charité authentique sur laquelle je me permets d'insister :

« La charité trouve sa joie dans la vérité », ou selon une autre traduction, « La charité se réjouit de ce qui est vrai. » Impossible, en effet, à une vraie charité de s'épanouir dans une atmosphère équivoque, dans une atmosphère de compromissions... La vraie charité trouve sa joie, son épanouissement, dans la vérité !

Il y aurait beaucoup à dire aujourd'hui aussi sur ces rapports de la charité et de la vérité. C'est si fréquemment que la vérité fait les frais d'une soi-disant charité !...

Il y a d'abord la charité simulée, cauteleuse, "gnangnan"... j'allais dire, excusez-moi, ecclésiastique dans le sens péjoratif du mot ! Celle-là, il nous faut la proscrire avec la dernière énergie... c'est un mensonge, une hypocrisie, il faut la démasquer... elle n'est pas sincère !

Mais la charité doucereuse ne l'est pas davantage. Que de fois de nos jours, sous prétexte d'une fausse charité, on n'ose pas remettre à sa place, encore moins démettre de sa place des gens qui diffusent l'erreur... Comme si la véritable charité ne consistait pas à vouloir le vrai bien de l'autre et pour un être intelligent, le premier de tous les biens n'est-il pas la vérité ? Comme si une vraie charité ne devait pas être "ordonnée", comme le dit saint Thomas d'Aquin, comme si le bien de la collectivité ne devait pas passer avant celui de l'individu ? Oui, aujourd'hui trop souvent une soi-disant charité a peur de la vérité, n'ose pas la regarder en face, la minimise, l'étouffe, la camoufle... Bref, on confond la charité, vertu forte qui se trouve d'abord dans la volonté avant d'avoir un contrecoup dans le cœur, on confond la charité, vertu théologale qui nous fait aimer Dieu et tout ce qui dans le prochain vient de Dieu, est reflet de Dieu, on confond cette vertu avec un sentimentalisme niais, béni oui-oui !

Non ! non ! la véritable charité, la charité surnaturelle n'est pas cela, elle est identiquement l'amour qui part du cœur de Dieu Lui-même et qui traverse nos pauvres cœurs humains pour atteindre nos frères ! Ainsi, je crois vous l'avoir expliqué, l'amour, la tendresse de la maman pour le papa, traverse le cœur de son enfant lorsqu'elle lui dicte et lui fait écrire une belle lettre à l'adresse de ce père... Notre charité surnaturelle pour nos frères est donc de la même "facture", de la même qualité que l'amour dont Dieu les entoure, et cet amour ne saurait pactiser ni avec l'erreur, ni avec une bonacité de mauvais aloi.

Cette charité, les chrétiens des premiers siècles la considéraient tellement comme leur vertu caractéristique que le mot lui-même servait à désigner la communauté chrétienne. On ne l'appelait pas seulement, comme on le ferait aujourd'hui, une "fraternité ", mais pour la désigner on employait le mot grec (c'était alors la langue courante) "agapé" qui veut dire "charité ". C'est ainsi que saint Irénée, au second siècle, dit que l'Eglise de Rome est la présidente de "l'Agapé", c'est-à-dire de l'Eglise toute entière !

Vous voyez ça ! Est-ce que aujourd'hui quand nous allons à une réunion de chrétiens nous pouvons dire : « Je m'en vais à la charité »... par exemple je m'en vais à "la charité" de Rungis pour dire : je vais à la communauté chrétienne, à la paroisse de Rungis ?

  

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