Année C – 7ème dimanche ordinaire


Retour au menu 

SOMMAIRE DE L'HOMELIE

Les deux cavernes. Les deux grottes...

Deux textes pour commenter cet Evangile :

- G.K. Cheterston : les deux humanités...
- Chamberlain : les deux Adam...

Jésus veut faire de "l’inédit" (cf. son discours-programme).

- Cela est encore plus clair dans la forme qu'il revêt chez St Matthieu et qui semble bien être sa forme originelle.
- Nous allons nous en rendre compte en suivant à grands traits ce sermon sur la montagne.

Les Béatitudes = formule paradoxale du bonheur, à l'antipode de ce que pense le monde...

La litanie des "on vous a dit"... "je vous dis" :

- Ne pas tuer...
- Ne pas commettre d'adultère...
- Ne pas se parjurer...
- Œil pour œil...
- Aimer ses amis, haïr ses ennemis...

Vous devez faire plus que les païens et les pécheurs.
Ne pas agir "pour la galerie" ... quand tu fais l’aumône ... quand tu pries... quand tu jeûnes...
Ne pas être double : pas de compromis = Dieu ou l'Argent...
Ne pas être plus exigeant pour les autres que pour soi-même...
Traiter les autres comme on voudrait être traité.
Ne pas "se payer" de mots...

Peu de gens suivront cette voie... mais elle conduit à la Vie...

Baser sa vie sur ces paroles du Christ, c'est bâtir sur le roc...
Cela suppose une personnalité "du tonnerre"... exemple : tendre l’autre joue...
Jésus ne fabrique pas des "sous-produits". Il est le chef d'une nouvelle lignée... d'une humanité nouvelle !


HOMELIE

DEUX CAVERNES... si vous préférez, DEUX GROTTES, tout a commencé par là !

Voici deux textes qui vont nous éclairer pour mieux comprendre l'Evangile de ce jour et l'Epître de saint Paul entendue tout à l'heure.

Le premier est de G.K. Cheterston dans son livre L'homme qu'on appelle le Christ (p.29) : « La première humanité a commencé dans une caverne, la caverne que la science populaire associe à l'homme des cavernes... La seconde moitié de l'histoire humaine, qui fut comme une nouvelle création du monde, commence aussi dans une caverne, dans une grotte. » Il s'agit, vous l'avez deviné, de la grotte de Bethléem !

Le second texte, je l'emprunte à l'écrivain philosophe Chamberlain. Voici ce qu'il écrivait dans son gros livre La Genèse du XXe siècle : « Envisagée au point de vue de l'histoire universelle, l'apparition de Jésus-Christ signifie l'apparition d'une nouvelle espèce humaine... et le chef de cette nouvelle espèce humaine, le "nouvel Adam" comme le nomme si bien l'Ecriture, ne veut admettre aucun compromis il donne le choix : Dieu ou Mammon... » Et un peu plus loin il s'explique : « Quand Jésus enseigne : “Si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente lui aussi l'autre, si quelqu'un prend ta tunique, abandonne lui aussi ton manteau”, qui ne voit que ces paroles sont étroitement liées avec les suivantes : “Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent”, et qu'ici se traduit dans les faits la conversion accomplie intérieurement ?... Une fois ma volonté "retournée", une fois "converti", je ne puis agir autrement... La vieille loi : œil pour œil, haine pour haine, définit un mouvement réflexe aussi naturel que celui qui contracte les jambes d'une grenouille déjà morte si l'on excite ses nerfs. En vérité, il peut bien être dit "un nouvel Adam" l'homme qui est devenu à ce point maître de son vieil Adam qu'il résiste à la contrainte de la loi des réflexes... » (Genèse du XXe siècle, pp. 278-280).

Certes oui ! Jésus n'est pas pour le "déjà vu","déjà connu", il entend bien faire de l'inédit ! Il entend bien créer un groupe "d'originaux", de "pas comme tout le monde", de "pas comme les autres" ! Cela ressort encore mieux dans la forme que prend ce discours sur la montagne dans l'Evangile de St Matthieu, forme qui semble bien authentique, originelle, car nous savons, je vous le disais la dernière fois, que Jésus, à la façon des orientaux, a employé un style de nature à faciliter la mémorisation. Et qu'est-ce qui peut frapper davantage l’esprit, qu'est-ce qui peut s'incruster plus facilement dans la mémoire que cette forme paradoxale, antinomique, que revêt dans saint Matthieu tout le sermon sur la montagne : « On vous a dit ... Moi, je vous dis » ?

Je vous disais dimanche dernier que chaque évangéliste, comme tout prédicateur, avait, en rédigeant son Evangile, un but particulier, un but qu'il est facile de déceler et qui a eu une influence sur le choix, l'arrangement, l'interprétation des paroles et des faits et gestes du Seigneur.

Tout l'Evangile de St Matthieu tourne autour de cette idée maîtresse que Jésus est venu instaurer ce royaume de Dieu annoncé par les prophètes et « qui doit rétablir parmi les hommes l'autorité souveraine de Dieu comme Roi reconnu, servi et aimé. »

Or saint Matthieu a regroupé dans ce qu'il est convenu d'appeler "le sermon sur la montagne" toutes les paroles et recommandations du Seigneur qui nous donnent comme la charte de ce royaume. Nous retrouvons certaines de ces paroles et de ces recommandations dans ce passage parallèle de St Luc, tandis que d'autres se trouvent, chez lui, dispersées en différents endroits de son Evangile certaines même ne s’y trouvent pas et sont propres au seul Evangile de St Matthieu.

 

Essayons de voir à grands traits l'ensemble de ce "discours-programme" du Christ pour mieux rendre compte comment le groupe constituer, cette Eglise dont nous avons la chance de faire partie, doit trancher sur le monde qui suit de toutes autres maximes.

Ce discours commence d'abord par les béatitudes qui nous donnent, nous le savons, une formule paradoxale du bonheur, une formule qui est à l'antipode de ce que pense le monde :

Heureux les riches, dit le monde – heureux les pauvres de cœur, dit le Christ.
Heureux les forts, les violents, dit le monde – heureux les doux, dit Jésus.
Heureux ceux à qui tout réussit ici-bas, heureux ceux qui rient et qui s’amusent, pense le monde – heureux les affligés les éprouvés, dit le Christ.
Heureux ceux qui sont rassasiés, les nantis, les repus, les parvenus heureux les affamés et les assoiffés de justice...
Heureux ceux qui se vengent – heureux les miséricordieux qui rendent le bien pour le mal...
Heureux les débauchés – heureux les cœurs purs !

Beaucoup mettent leur joie à susciter la dispute, la zizanie. Heureux les pacificateurs, dit Jésus.

Heureux ceux qui se mettent au diapason du monde, ce que le monde applaudit... – heureux êtes-vous, dit le Christ, si vous êtes persécutés à cause de la justice ou à cause de moi...

Et après cet exorde paradoxal, Jésus déclare à ses disciples qu'ils devront être "le sel de la terre", qu'ils devront l'empêcher de se corrompre, de se pourrir et que, s'ils perdent leur saveur, leur mordant, ils mériteront d'être foulés aux pieds par les hommes.

Il leur rappelle qu'ils seront le "point de mire", tout le monde aura les yeux fixés sur eux. Comme la ville bâtie sur la montagne qui ne peut être camouflée, comme la lampe qui n'est pas faite pour être mise sous le boisseau, que leurs bonnes œuvres brillent aux yeux des hommes afin que leur Père du ciel en soit glorifié.

Et Jésus précise qu'il n'est cependant pas un révolutionnaire qui veut tout détruire. La loi ancienne, il ne la détruira pas, il vient pour la perfectionner, mais celui qui voudra s'en tenir à cette loi ancienne, a cette justice légale des Scribes et des Pharisiens, ne pourra pas entrer dans ce royaume qu'il vient établir. Pour entrer chez lui, dans son groupe, il faut la dépasser. Suit toute une litanie opposant ce qu'il dit lui, Jésus-Christ, et ce que l'on dit autour d'eux, ses disciples.

On vous a dit : « tu ne tueras pas ! »... Et moi je vous dis de ne pas même vous fâcher contre vos frères, de ne pas les injurier, de ne pas les traiter de tous les noms. Je vous dis même que Dieu n'acceptera pas vos offrandes tant que vous ne vous serez pas réconciliés avec vos frères...

On vous a dit : « tu ne commettras pas d'adultère ! »... Et moi je vous dis que l'on peut être adultère par un simple regard, par un simple désir. Et je vous dis encore que, plutôt que d'avoir ainsi un mauvais regard, il vaudrait mieux vous arracher les yeux !

On vous a dit que vous pouviez renvoyer vos épouses à condition de leur donner un certificat de divorce, de répudiation... Et moi je vous dis que celui qui renvoie sa femme l'expose à devenir adultère et que celui qui épouse la femme divorcée commet un adultère...

On vous a dit qu'il ne fallait pas être parjure, que lorsque vous avez juré de faire une chose vous devez la faire, que lorsque vous avez juré de dire la vérité, vous ne pouvez pas mentir... Et moi je vous dis que vous ne devez même pas avoir besoin de jurer par ceci ou par cela, mais que vous devez toujours dire "oui" quand c'est "oui" et "non" quand c'est "non". En d'autres termes, la parole d'un chrétien doit valoir un serment.

On vous a dit : « œil pour œil, dent pour dent ! »... Et moi je vous dis, non seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais de rendre le bien pour le mal. Je vous dis de confondre votre adversaire déchaîné, de l'estomaquer par votre magnanimité, par votre grandeur d'âme, par votre maîtrise de vous-mêmes. A celui qui te frappe sur une joue, tends l'autre. A celui qui veut te prendre ta tunique, abandonne encore ton manteau. Si quelqu’un veut te forcer à faire un kilomètre avec lui, fais-en deux !

On vous a dit : « tu aimeras ton prochain, mais tu haïras ton ennemi. » Et moi je vous dis : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent. Ainsi vous serez les fils de votre Père qui est aux cieux, car Lui, il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons et il fait tomber la pluie pour les justes et pour les injustes. »

Si vous aimez ceux qui vous aiment, si vous faites du bien à ceux qui vous en font, si vous saluez ceux qui vous saluent, vous ne faites rien de plus que les païens, les publicains et les pécheurs...

Gardez-vous de faire le bien pour être bien vus par les hommes ! Vous perdriez votre récompense...

Ainsi quand tu fais l'aumône, fais-la en secret, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite ; alors ton Père du ciel, qui voit dans le secret, te récompensera !

Quand tu pries ne t'affiche pas comme les hypocrites mais fais-le en secret, et ton Père du ciel qui voit dans le secret, t’exaucera ! Ne pensez pas que c'est en débitant de longues prières que vous serez écoutés, mais quand vous priez, priez Dieu comme un Père et commencez par lui souhaiter que son nom soit sanctifié, que son règne vienne, que sa volonté soit faite ; après, après seulement, demandez ce dont vous avez besoin, le pain quotidien et le pardon de vos offenses... Sachez en effet que si vous ne pardonnez pas, Dieu non plus ne vous pardonnera pas !

Quand vous jeûnez, quand vous faites un effort, un sacrifice, ne cherchez pas à le faire voir, à le faire sentir à votre entourage, mais arrangez-vous pour que personne ne puisse s'en douter sinon le Père qui voit dans le secret et il vous en saura gré...

Ne cherchez pas à amasser sur terre des trésors qui sont à la merci des mites et des voleurs ; amassez-vous des trésors dans le ciel, car là où vous placez votre trésor, là aussi sera votre cœur !

L'œil est la lampe du corps... Si ton œil est clair, limpide, c'est que tout ton corps l'est aussi ...

Il faut choisir : vous ne pouvez servir deux maîtres, vous ne pouvez servir à la fois Dieu et Argent ! Ne soyez pas obsédés par le souci de ce que vous mangerez, ou de ce dont vous vous vêtirez : ce sont là soucis de païens... Pour vous, cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera octroyé par surcroît... Ne vous inquiétez donc pas du lendemain...à chaque jour suffit sa peine !

Ne jugez pas si vous ne voulez pas être jugés...

Pourquoi vouloir enlever la paille qui est dans l'œil de ton frère quand tu ne vois pas la poutre qui est dans le tien... (pourquoi vouloir corriger les autres sans essayer de te corriger toi-même ; commence par essayer de te corriger toi-même...)

Ne jetez pas aux chiens ce qui est sacré... ne jetez pas vos perles devant les pourceaux...

Demandez et on vous donnera, cherchez et vous trouverez... Si vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à plus forte raison votre Père du ciel vous donnera-t-il ce qui est bon pour vous.

En un mot, ce que vous souhaitez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux... (cf. St Luc, ch. 6, v. 31)

Entrez par cette porte étroite et prenez ce chemin resserré, il conduit à la vie... ils ne sont pas nombreux ceux qui le prennent !

Ne vous fiez pas aux apparences... méfiez-vous des faux prophètes, des beaux parleurs, jugez l'arbre à ses fruits...

Ne me dîtes pas : « Maître, maître » dans vos prières, si ensuite vous ne faites pas ce que je vous demande... Ce n'est pas ceux qui me disent : « Seigneur, Seigneur » qui entreront dans le royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père...

Basez votre vie sur ces paroles et vous construirez sur le roc !

 

Vous voyez, mes frères, comment, avec ce discours-programme du Christ, nous sommes loin, bien loin, de ce que dit Monsieur Tout-le-monde et aujourd'hui on voudrait que les chrétiens se mettent à la mode de ce monde, en adoptent les idées, les façons de faire, qu'ils disparaissent dans ce monde, qu'ils fassent "comme tout le monde" !

Non ! ce n'est pas parce que autour de nous "on" (fut-ce Monsieur-tout-le monde) agit de telle ou telle manière que nous devons nous mettre au diapason et faire pareil pour "être à la page" ... Non ! le Seigneur nous en a avertis : nous ne pouvons nous contenter de faire ce que font les païens ou les pécheurs... ils seront peu nombreux ceux qui prendront la voie étroite qu'Il nous trace...

Certes, cela suppose une drôle de personnalité, une fameuse maîtrise de soi, cela suppose que, chez nous, il y a "quelqu'un", quelqu'un qui tient fermement la barre du navire qui n'est emporté ni par le courant de nos propres passions, ni par celui de l'entourage, par la pression sociale... Ainsi, quelle forte personnalité il faut pour rendre le bien pour le mal ! Cela suppose que l'on domine, que l'on commande, au réflexe instinctif, animal, du chien qui mord quand on lui marche sur la patte. Jésus prône même cette attitude comme la meilleure façon d'arrêter la dispute et la guerre. Quand Il nous dit : « Tends la joue droite à qui t'a frappé sur la gauche », il ne s'agit certes pas, comme certains voudraient nous le faire croire, de rester passifs, de tout encaisser sans mot dire, c'est, au contraire, être éminemment actifs. Vous vous trouvez devant quelqu'un qui est fou furieux au point qu'il est allé jusqu'à vous gifler !... Si vous lui rendez la pareille, il voudra très probablement vous la rendre, lui aussi, et ça n'en finira plus... Surprenez-le, suffoquez-le, sidérez-le, estomaquez-le par votre sang-froid, votre maîtrise de vous-même : c'est la seule chance de pouvoir faire tomber sa colère et de le rappeler à lui-même alors qu'il est hors de lui... Tu m'as frappé sur cette joue ? Tiens ! frappe donc encore sur l'autre si le cœur t'en dit ! Tu veux me prendre mon manteau ? Tiens ! voici encore ma veste et mes chaussettes !... Tu veux que je fasse avec toi un kilomètre ? J'en ferai même deux !...

Jésus ne fabrique pas des sous-produits, des sous-hommes, mais des surhommes...

Oui, si avec le secours de sa grâce, qui n'est autre que sa propre force mise à notre disposition, nous suivons son programme, chrétiens, nous serons cette nouvelle humanité, cette nouvelle race, dont parlait tout à l'heure Chamberlain après saint Paul et que Jésus est venu instaurer sur cette terre... Nous ne cherchons pas à être "à la page" et nous acceptons d'être des "originaux".

 

Haut de la page