Année C – 1er dimanche de Carême


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

Jésus a voulu nous être semblable jusqu'à accepter d’être tenté lui aussi...

La vie de l'homme est une tentation continuelle...

Pourquoi ? parce qu'il a été créé libre exprès pour choisir.

Et si Dieu lui demande de choisir, c’est parce que, comme nous, Il apprécie par dessus tout un libre amour.
(Texte de Péguy)

Caractère sportif de la vie chrétienne...
cf. : texte de St Paul aux Corinthiens...
texte de l’Epître aux Hébreux...

Les 3 étapes de la tentation chez nous...

Jésus n'a pu ni consentir au mal, ni en ressentir l'attirance...

Mais il a eu à surmonter les répugnances légitimes de sa sensibilité pour remplir sa mission...

Nous, du fait de notre nature déchue, nous ressentons une connivence entre elle et le mal... Cela atténue notre responsabilité... Dieu en tiendra compte...

Les 3 tentations du Christ

- La première : Mettre sa puissance au service de son corps...
Ne nous servir de notre intelligence que pour pourvoir aux besoins de notre corps...

- La seconde : La gloriole...
ou : tout attendre de Dieu et ne rien faire...

- La troisième : Ne pas résister au démon mais entrer dans son jeu, pactiser avec lui. Tentation du chrétien et même de l'Eglise de se mettre dans le vent...

Conclusions : nos attitudes face à la tentation.

- Ne pas nous effrayer des pensées folles qui se présentent...c’est une épreuve...
- Pas d'affolement...nous disposons de la force de Dieu...
- Lui demander cette force (la grâce) aux moments de calme...
- Nous entraîner à l'effort et à un certain renoncement = faire pénitence.
- Méditer la parole de Dieu = la faire nôtre...
- La tentation nous donne l'occasion de rechoisir Dieu... comme les époux doivent sans cesse se rechoisir...


HOMELIE

INOUÏ COMME IL A PU NOUS RESSEMBLER !... Jusque-là ?...

Ecoutez ce que nous dit l'épître aux Hébreux : « Nous n'avons pas, nous, un grand Prêtre incapable de compatir à nos faiblesses, car il a été éprouvé, tenté en tout d'une manière semblable, à l'exception du péché ! » (Epître aux Hébreux, ch. 4, v. 15)

Oui, Jésus, notre grand Prêtre, nous a été semblable jusque-là... Quand le Fils de Dieu s'est incarné, quand il s'est fait homme, ce n'était pas pour jouer la comédie : il a épousé pleinement notre condition d'homme, le péché excepté.

Or toute la vie de l'homme n'est-elle pas, comme le déclarait le Saint homme Job, une lutte, un combat, une tentation continuelle ? (Job, ch.7,v.1) C'est constamment que nous sommes mis dans l'alternative de choisir entre le bien et le mal, entre Dieu et Satan... Pourquoi donc est-ce là notre condition humaine ? Cela nous choque, nous scandalise presque... Ne disons pas que c'est une conséquence de notre déchéance originelle. A l'exception du Christ et de sa sainte Mère, nous sommes tous tarés, c'est vrai, mais Adam et Eve eux-mêmes ont été tentés... Quoi ? serait-ce là un décret arbitraire de Dieu ?...

Il faut répondre que, si nous avons été créés libres, c'est évidemment pour pouvoir "choisir" : là où il n'y a pas de liberté, il n'y a pas de choix. Dieu nous a fait libres exprès pour que nous puissions choisir. Il était donc dans la logique que nous eussions des occasions de faire un choix. Sans cette liberté, il n'y aurait pas eu d'amour de Dieu valable... d'amour de Dieu qui ait une valeur, qui ait du prix auprès de Lui ... Voyez vous-mêmes : que vaut un amour forcé ? Chères mamans, si votre petit vient vous embrasser parce que papa est là derrière qui le menace du fouet s'il ne le fait pas, que vaudra à vos yeux ce geste d'affection ?... Voyez vous-mêmes : que vaut même un amour quand il est intéressé ? Je me rappelle, dans mes premières années de ministère, ce jeune Monsieur qui venait me trouver en me disant qu'il voulait divorcer et, comme j'essayais de le raisonner, il me répliqua : « J'ai maintenant la preuve péremptoire que ma femme m'a épousé à cause de mon porte-monnaie !... » Il avait en effet quelques biens au soleil !

 

Sur ce point Dieu est comme nous ... Il quête certes l'amour de l'homme, mais il veut que ce soit un amour libre

Ecoutez ce beau texte de Péguy :

« Cette liberté de cette créature, dit Dieu, est le plus beau reflet qu'il y ait dans le monde de la liberté du Créateur. C'est pour cela que nous y attachons, que nous y mettons un prix propre... S'il ne s'agit que de faire la preuve de ma puissance, ma puissance n'a pas besoin de ces esclaves, ma puissance est assez connue, on sait assez que je suis le Tout-Puissant !
Ma puissance éclate assez dans toute la matière, dans tout événement.
Ma puissance éclate assez dans les sables de la mer et dans les étoiles du ciel.
Elle n'est point contestée, elle est connue, elle éclate assez dans la création inanimée.
Elle éclate assez dans le gouvernement, dans l'événement même de l'homme.
Mais dans ma création animée, dit Dieu, j'ai voulu mieux, j'ai voulu plus. Infiniment mieux, infiniment plus, car j'ai voulu cette liberté, j'ai créé cette liberté même.
Quand une fois on a connu d'être aimé librement par des hommes libres, les soumissions n'ont plus de goût.
Quand une fois on a connu d'être aimé par des hommes libres, les prosternements d'esclaves ne vous disent plus rien...
Etre aimé librement ? Rien ne pèse ce poids, rien ne pèse ce prix. C'est certainement ma plus grande invention.
Quand on a une fois goûté d'être aimé librement, tout le reste n'est que soumissions.
Tous les prosternements du monde ne valent pas le bel agenouillement droit d'un homme libre. Toutes les soumissions, tous les accablements du monde, ne valent pas une belle prière bien droite agenouillée, de ces hommes libres-là. Toutes les soumissions du monde ne valent pas le point d'élancement, le bel élancement droit d'une seule invocation d'un libre amour. »

(Le Mystère des saints Innocents, pp 66-67-68). 

Ce n'est donc pas par un décret arbitraire de Dieu qu'Adam et Eve – et que nous-mêmes – nous sommes soumis à la tentation. Dieu qui apprécie par-dessus tout la liberté, ayant voulu nous faire participer à sa liberté autant qu'il est possible pour une créature, devait, pour être conséquent avec Lui-même, nous donner des occasions de choisir.

Si j'en juge par la place faite aux émissions sportives, surtout le dimanche, il me semble que les Français doivent être assez sportifs...

Or, pour peu que nous ayons l'esprit sportif, notre vie, notre vie chrétienne surtout, doit nous apparaître emballante car il s'agit vraiment d'une compétition, d'une lutte, d'un match...

C'est ainsi du reste que saint Paul la présentait aux chrétiens de Corinthe dans le passage de la lettre qu'il leur adressait et qu'autrefois nous lisions tous les ans justement au début du Carême (1ère aux Corinthiens, ch.9, v.24). Il comparaît la vie chrétienne à la course ou à la lutte des athlètes dans le stade... et l'auteur de l'épître aux Hébreux reprend cette comparaison ; il dit même que tous les saints sont les témoins, nous dirions aujourd'hui les supporters qui nous regardent et que, pour ne pas faiblir, il nous faut garder les yeux fixés sur notre "entraîneur", le Christ, qui, lui, a lutté jusqu'au sang (Epître aux Hébreux, ch.12,v.1-4).

 

Il y a cependant une différence entre la façon dont le Christ a été tenté et la façon dont nous le sommes.

En effet la tentation peut comporter trois étapes : il y a d'abord la suggestion ; l'idée, la pensée du mal se présente à nous, bien souvent du reste sous l'influence de quelque chose d'extérieur... Puis, chez nous, étant donné notre nature blessée, nous ressentons une certaine attirance vers ce mal. Enfin parfois nous succombons en donnant notre consentement. 

Il est bien évident que le Fils de Dieu ne pouvait pécher, donc consentir au mal. Sa nature humaine n'ayant aucune tare, il ne pouvait non plus ressentir une attirance vers le mal. Cependant il y avait dans sa nature humaine une sensibilité tout à fait normale qui pouvait être mise à l'épreuve. Ainsi dans l'Evangile de ce jour nous voyons que Jésus avait faim... c'était bien normal après 40 jours de jeûne ! Ainsi, j'ai eu l'occasion de le souligner bien des fois, sa nature humaine a redouté, plus encore peut-être que la notre, la souffrance... Tout cela constituait des obstacles à l'accomplissement de sa mission, des obstacles que Jésus a dû surmonter.

Quant à nous, ne nous plaignons pas d'avoir en plus, du fait de la tare originelle, une certaine attirance vers le mal. Cette attirance, nous devons certes la désapprouver, la surmonter avec la grâce de Dieu, comme Jésus a surmonté les répugnances, légitimes celles-là, de sa nature humaine, mais il est bien évident que Dieu, qui est juste, nous tiendra compte dans son jugement de cette attirance qui rend nos défaillances moins coupables que si nous ne l'avions pas... Un enfant d'alcoolique est moins coupable qu'un autre s'il "se soûle" ! De plus, Dieu est prêt à nous donner un surcroît de grâce pour vaincre cette attirance mauvaise. « Dieu, dit saint Paul, ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces, mais avec la tentation il vous donnera le moyen d'en sortir et la force de la supporter. » (1ère aux Corinthiens, ch.10, v.13).

 

Arrêtons-nous quelques instants à ces trois tentations du Christ qui nous sont rapportées par les trois évangiles synoptiques.

La première tentation qu'a éprouvée le Christ, c'est de mettre sa puissance divine au service de son corps. Il a faim : c'est normal après un jeûne si prolongé. « Sers-toi donc de ta puissance, transforme ces pierres en pain ! » Et le Seigneur de répondre : « Non ! l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ! »...

Mettre toute sa puissance au service de son corps... combien d'hommes, combien de chrétiens peut-être, succombent à cette tentation ! tous ceux qui semblent n'avoir reçu de Dieu une intelligence que pour chercher les moyens d'améliorer leur standing matériel, pour chercher le moyen de se procurer toutes les satisfactions corporelles possibles... Quant à "lire entre les lignes" – comme veut dire le mot même d'intelligence – quant à s'en servir pour réfléchir, pour comprendre, pour déchiffrer le sens du monde et de leur vie, pour en découvrir l'origine et la fin en remontant jusqu'à Dieu : néant ! zéro ! Quant à nourrir cette intelligence en cherchant à connaître et à approfondir la parole de Dieu néant encore ! zéro et zéro ! Ainsi chez ceux-là l'intelligence se trouve ramenée au rôle de l'instinct chez l'animal, chez ceux-là, l'intelligence en est réduite à n'être plus qu'un instinct perfectionné ...

Et Jésus, comme tout juif religieux et fidèle, avait dû, même durant son jeûne, se rendre au temple pour faire "ses dévotions". Il était monté sur le pinacle, c'est-à-dire au faîte de la tour du temple, et le démon lui suggère : « Sers-toi de ta puissance pour t'éviter la peine de prendre l'escalier pour redescendre, jette-toi en bas, et les anges te porteront entre leurs mains, tu éblouiras le monde, tu leur en jetteras plein les yeux Voilà un excellent moyen de te recruter des admirateurs et des disciples ! » — « Non répond le Christ, l'Ecriture dit : “ Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu ! ” c'est-à-dire : “ Tu ne forceras pas Dieu à faire des miracles inutiles, il y a un moyen naturel pour descendre : je le prends ! ” »

Beaucoup ne vivent que pour leur corps, tout est mis à son service ! Mais beaucoup aussi se fixent comme but de leur vie la gloriole ! éblouir ! même en employant des moyens pas toujours très normaux ! Qui de nous pourrait dire qu'il ne ressent jamais une tentation de ce genre ?... Il en est aussi, et là parmi les croyants surtout, qui délaisseraient volontiers les moyens naturels, les moyens humains, pour ne compter que sur Dieu. Non ! jamais le Seigneur ne substituera son action à la nôtre ; la vraie formule reste toujours : « Aide-toi, le Seigneur t'aidera » ou encore celle de saint Ignace de Loyola : « Priez comme si tout dépendait de Dieu, agissez comme si tout ne dépendait que de vous ! » C'est par nous, par les causes secondes, que normalement Dieu agit en suscitant en nous les bons désirs, en provoquant et soutenant notre volonté, bref en collaborant avec nous, mais jamais de façon à nous dispenser d'agir, jamais en encourageant notre paresse, notre inertie ! 

Et la troisième tentation Jésus, dans ses marches silencieuses et méditatives dans ce désert, était arrive sans doute au point culminant, au Djebel Qarantal ou Mont de la Quarantaine. De là, Il pouvait contempler les villages qui se pressaient dans la plaine et surtout deviner, imaginer par delà le Nébo et les monts de Moab les empires lointains de Ninive, de Babylone... Alors que le Seigneur devait songer à la façon dont il étendrait le royaume de son Père jusqu'à ces royaumes, le diable lui suggère : « Tous ces royaumes sont à moi, c'est moi qui en tire toutes les ficelles, ils sont sous mon emprise ( Jésus ne le savait que trop puisqu'il se demandait comment Il les arracherait aux griffes de Satan ) ; au lieu de t'opposer à moi, d'entrer en lutte avec moi, entre dans mon jeu, faisons un pacte, et tout aussitôt, ils sont à toi ! »... « Non ! comme le prescrit l'Ecriture, je n'adore et ne sers que Dieu seul, le seul vrai Dieu » Ah ! cette tentation, elle guette chacun de nous, elle guette même l'Eglise de Dieu aujourd'hui : pactiser avec ce monde qui, selon l'expression de saint Jean (cf. 1ère Epître de St Jean, ch.5, V.19), est « tout entier au pouvoir du Mauvais »... se mettre dans le vent, "être à la page" . C'est ainsi que, pour reprendre l'expression du Pape Paul VI, « la fumée de Satan est entrée dans l'Eglise. » 

Le remède ? retrouver le sens du sacré, retrouver l'absolu de Dieu qui ne souffre pas de compromis : « Tu ne te prosterneras que devant Dieu seul, c'est Lui, Lui seul que tu adoreras ! »

Notons que lorsque saint Luc, à la fin du passage que nous venons de lire, ajoute que « le démon s'éloigna de Jésus pour un temps », il semble bien suggérer par là que , comme tout un chacun, Jésus tout au long de sa vie aura à batailler avec lui, ne serait-ce qu'à travers ses suppôts.

Que de leçons à retirer de ces tentations du Seigneur !

Tout d'abord ne nous effrayons pas quand les pensées les plus abominables nous viennent à l'esprit. Jésus lui-même, Jésus qui est la Sainteté même, a bien voulu subir cette épreuve, car c'en est une, et souvent fort pénible !

Ensuite pas d'affolement au moment de la tentation : gardons notre calme, notre sérénité. Sans doute chez nous, notre nature pécheresse, nous le sentons bien souvent, est facilement de connivence avec la tentation, la pensée, l'idée mauvaise qui se présente à nous, mais nous disposons de la force même de Dieu qu'est la grâce, surtout si nous savons la demander humblement et si (car il ne faut pas tenter Dieu, Jésus nous l'a dit !), si nous ne nous sommes pas exposés volontairement à cette tentation...

En ce qui nous concerne, nous devons prier Dieu, Lui demander de ne pas nous laisser succomber à la tentation. Nous devons le Lui demander surtout dans les moments de calme, car au moment de la tentation, le simple fait de prier, surtout si on le fait fébrilement, risque de nous hypnotiser sur cette tentation, alors que le mieux, suivant les lois de psychologie établies du reste par le Seigneur Lui-même, serait de faire diversion...

Pour atténuer cette connivence de notre mauvaise nature avec la tentation, nous devons nous entraîner à savoir parfois nous refuser un certain confort, certaines satisfactions. Car si nous cédons constamment à tous nos caprices, à toutes nos envies, le pli est pris et quand ces envies nous paraîtront déraisonnables et même carrément mauvaises, le poids de d'habitude viendra renforcer la tentation... C'est là la raison de la pénitence. Savoir faire pénitence, surtout en ce temps de Carême qui est le temps de l'entraînement à la lutte. Savoir faire quelques sacrifices volontaires, nous refuser quelques satisfactions qui ne sont pas mauvaises, et ce, pour affermir notre volonté...

Il nous faut aussi méditer la parole de Dieu. C'est le moyen de la faire pénétrer jusqu'en notre cœur, comme le disait saint Paul dans l'Epître, c'est le moyen d'expérimenter combien l'idéal qu'elle nous propose répond à ce qu'il y a de meilleur en nous ... pour que nous soyons de plus en plus épris de cet idéal.

Alors, lorsque la tentation se présentera, nous pourrons riposter immédiatement, et sans compromis comme le Christ, par la Parole divine, par le commandement divin qui sera devenu consciemment l'expression même de nos souhaits les plus profonds...

Au demeurant, rappelons-nous que la tentation, quand nous ne l'avons ni cherchée, ni provoquée, nous est une occasion de renouveler notre choix de Dieu notre amour de prédilection pour Lui ... N'en va-t-il pas ainsi dans l'amour humain ?... Un des éléments qui en fait la beauté, c'est qu'il est un choix, et ce choix doit sans cesse se renouveler tout au cours de la vie. Ainsi de notre amour du Seigneur... Les époux ont à se rechoisir tous les jours, nous avons tous à rechoisir tous les jours le Seigneur... pour rester fidèles à son alliance, pour vivre librement dans son intimité.

 

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