SOMMAIRE DE L'HOMELIE
Récit du "pèlerinage" à la
grotte de la Luire : l'inscription : "Vous qui venez ici, apportez-y
une âme !"
Des lieux comme celui-ci, il s'en trouve partout où le
matérialisme a remplacé le culte de l'âme...
On a tué, étouffé l’âme de
l'homme...
On a tué, étouffé ce qui le faisait homme : ce n'est plus lui qui Il se fait agir " suivant les lumières de sa raison. Comme les choses...comme le animaux... il " est agi ", mené par les impressions et les pressions exercées sur lui. Il "suit" ses instincts ... il "suit" l'opinion...
En même temps que grâce à la
science et à la technique le côté
matériel, la puissance matérielle a grandi de
façon extraordinaire...
On a rapetissé, étouffé l'esprit, l'âme de
l'homme.
On a détruit les valeurs spirituelles, les valeurs d'absolu,
on a voulu même désacraliser la religion...
Résultat malaise...le monde est devenu invivable pour des êtres humains...
Apportez-y une âme...
C'est avant tout le rôle des
chrétiens.
Les chrétiens sont " l’âme du monde "...
En y apportant une âme, ils peuvent le transfigurer
- C'est la divinité du Christ qui normalement transfigurait son âme et son corps.
- Une âme pétrie d'idéal transfigure le corps...
- La présence d'une âme fervente, claire et pure peut transformer, transfigurer un milieu...
Le Carême est fait pour épanouir nos armes ... pour assurer à nouveau la domination de l'âme sur le corps...
"APPORTEZ-Y UNE AME !"...
Devant la stèle, tout le groupe de nos jeunes s'est arrêté. Nous avons tous pu lire (c'était écrit en quatre langues : français - italien - anglais et allemand), nous avons tous lu : " Vous qui venez ici, apportez-y une âme."
Et en silence nous avons parcouru les cent ou deux cents mètres qui nous séparaient de la grotte, la grotte de la Luire, dans le Vercors, où à la fin de la guerre, quatorze blessés français furent lâchement achevés... Là, nous nous sommes recueillis devant les restes de cet hôpital improvisé : deux brancards (sur l'un d'eux on voyait encore les traces du sang français), des cuillères, des fourchettes rouillées, une paire de ciseaux, des boîtes de pansements et quelques autres menus objets.
Devant ces pauvres restes, nous nous sommes tus. " Vous qui venez ici, apportez-y une âme." Aucun autre texte, aucune parole de vengeance ou d'indignation ! " Vous qui venez ici, apportez-y une âme !" Ceux qui ont gravé sur la pierre cette simple recommandation ont bien compris que des lieux comme celui-là, il s'en trouvait sans doute dans tous les pays, à travers le monde entier, partout où le culte de la chair et des instincts, partout où le matérialisme, avaient remplacé le culte de l'âme et des valeurs spirituelles ...
Le culte de la chair, le culte des instincts parfois dépravés, dévoyés, n’est-ce pas le but poursuivi par le très grand nombre dans notre monde matérialiste ? Comme le disait tout à l'heure St Paul dans l'Epître, le dieu de tous ces gens, c'est "leur ventre" ! L'homme est tronqué à la hauteur de son ventre, défense de monter plus haut !... Aussi on a pensé à tout dans ce monde matérialisé, on a pensé à tout sauf à lui donner une âme... L'âme ? la personne humaine ? on l'a même tuée...
Un cadavre ou...un corps animé?...
Ils l'ont tué!...
Lui qui marchait la tête haute, si droit, si
fièrement, là gisant...
Lui que grandissait à ses propres yeux le sentiment de ses
responsabilités, inerte maintenant!... devenu une chose, une
pauvre chose dont on fait ce que l'on veut!...
Lui si vivant, si vibrant, devenu un cadavre qui se
décompose...
Ils l'ont tué, Lui !...
Crime de tous les matérialismes d'hier et
d'aujourd’hui.
L'homme, tout homme, est en quelque sorte un commandant. Il commande
en maître à ce petit univers qu'il est lui-même :
c'est là ce qui fait sa grandeur, sa dignité, sa
fierté.
Les choses ne se commandent pas, elles n'agissent
pas d'elles-mêmes, de leur propre initiative. Si une pierre
tombe, ce n'est pas elle qui a décidé d'exécuter
ce mouvement ; elle ne peut ni l'arrêter, ni le modifier.
L'animal non plus n'agit pas de lui-même, ce n'est pas lui qui
se fait agir, ce sont plutôt les choses qui l'entourent qui le
font agir. Il suit aveuglément, obligatoirement, les
impressions que, tel l'acide sur le métal, elles font sur lui.
Il se laisse mener par elles. Il suit toujours l'impression, l'envie
la plus forte, il ne peut y résister...
L'homme, au contraire de l'animal et des choses, a le pouvoir de se faire agir, de se décider, de choisir. Lors u il se conduit en homme, il agit, non pas parce que les objets qui l'entourent produisent sur lui telle ou telle impression - ce serait être leur esclave et réduire son rôle à n'être qu'un " transformateur de mouvement " - mais parce qu'en définitive il l'a décidé, lui et pas un autre. Son action vient donc bien de lui ; il en porte toute la responsabilité puisqu'il dépend de lui et de lui seul qu'elle soit ou ne soit pas.
Or le matérialisme tue l'homme dans ce qui justement le fait homme : dans sa raison et dans sa volonté. Oui, ce n'est plus l'homme qui se commande d'après la lumière de sa raison, ce sont ses instincts qu'il suit, c'est l'opinion, la mode, le "qu'en dira-t-on" dont il est l'esclave.
Faillite de la raison et de la volonté ! Je n'en veux d'autre preuve que cette horreur instinctive pour tout ce qui est règle et discipline. Je n'en veux d'autre preuve que ce débraillé, ce laisser aller, ces commencements qui n'ont pas de suite, ces responsabilités prises à demi qui font qu'on ne peut jamais compter sur une parole, sur une promesse.
Et ce qu'il y a de plus triste, c'est que ce meurtre, ce reniement de tout ce qui nous fait hommes, ce reniement de la raison et de la volonté, on nous le présente comme une "libération" ! A croire que l'homme en a assez d'être homme et qu'il ambitionne de retourner à l'animalité !
Et voici le drame de notre époque, le drame de notre monde : un corps qui grandit à la vitesse grand "V", et de façon démesurée, une âme qui se rapetisse, qui se ratatine de plus en plus, comment voulez-vous qu'avec cela on fasse quelque chose d'humain?...
Tel est le paradoxe qui déchire notre monde d'aujourd'hui : d'une part nous découvrons que le monde s'agrandit de plus en plus à une vitesse vertigineuse, et nous constatons que les découvertes de la science et de la technique donnent des possibilités qui s'accroissent sans cesse, et d'autre part, au même moment, on étouffe l'âme dans ce monde, si bien que toutes ces puissances, toutes ces possibilités sont mises au service des instincts non contrôlés, non dirigés, déboussolés!...
Cette âme assoiffée d'absolu, d'infini, on veut réduire ses dimensions à celles de ce monde technicisé, computorisé...
Certains ont entrepris même de tout désacraliser, de tout relativiser, de supprimer tout absolu, de tout ramener à un niveau purement matériel, temporel... Oui, dans notre monde, tout se matérialise, il n'y a plus rien de sacré, aucun absolu.
Les engagements, la parole donnée, n'ont plus de valeur. On n'a jamais tant parlé de la dignité humaine, mais qu'en fait-on de cette dignité?... Tout tend à faire de la personne un simple individu, un numéro, un mouton...
L'amour lui-même, qu'est-il devenu ? Il n'est certes plus un absolu ni dans le don de soi, ni dans la durée. On peut même se demander s'il est encore un don ou s'il n'est pas plutôt un égoïsme, une recherche de soi.
La vie humaine elle-même n'est plus un absolu. On la sacrifie aisément désormais quand elle gêne à ses débuts et bientôt quand elle gagnera dans ses dernières années, en attendant qu'on la sacrifie même dans l'entre-deux.
Certains même s'en prennent à la religion, à la religion de Jésus-Christ, et alors que le Christ par son incarnation a voulu tout sacraliser, on s'est employé avec une ténacité féroce à la désacraliser en la vidant de son contenu surnaturel et surhumain. Les mots qui servaient à désigner ces réalités surnaturelles ont été vidés de leur propre sens et servent à désigner des réalités purement humaines, purement temporelles. Ainsi en est-il de la foi, ainsi en est-il de l'espérance, ainsi en est-il de la charité que l'on préfère appeler amour, parce que ça fait plus laïque.
Et le malaise est grand.. . ! Ce monde privé d'âme à sa mesure, si je puis dire, nous paraît absurde, invivable pour des êtres humains ... C'est un cadavre qui se décompose !
Qui, qui donc lui rendra son sens, qui lui rendra
sa beauté, qui lui rendra même la vitalité, en
lui redonnant une âme ? Qui lui rendra ses dimensions sacrales
à la mesure de l'âme humaine assoiffée d'infini,
assoiffée de divin quoiqu'on puisse dire?...
Qui, sinon l'Eglise, qui sinon les chrétiens qui ont là
un rôle irremplaçable à jouer ?
Un pieux auteur du second siècle écrivait que les chrétiens devaient être l'âme du monde (cf. Epître à Diognète). Quel magnifique rôle que celui-là ! Animer cet immense corps du monde devenu, du fait du matérialisme, un cadavre en putréfaction, apporter partout où vous passez une âme ! C'est, au fond, transfigurer le monde ! rien que ça, s'il vous plaît !
Vous avez tous rencontré dans votre existence des âmes limpides, des âmes de cristal, remplies d'idéal et de foi... Ces âmes transparaissaient à travers le corps qu'elles irradiaient, elles le rendaient diaphane, lui donnaient une beauté merveilleuse, lui communiquaient comme une luminosité... que ce soit des corps de jeunes ou des corps de personnes âgées ...
A plus forte raison la divinité du Christ devait-elle normalement irradier et son âme et son corps. St Thomas d'Aquin nous dit que l'état du corps du Christ au jour de sa Transfiguration aurait dû être son état normal, l'état dans lequel il aurait dû être constamment. C'est parce que le Christ voulait nous être parfaitement semblable, c'est surtout parce qu'il voulait pouvoir souffrir pour nous et accomplir ainsi le mystère de notre Rédemption, que le Christ n'a pas voulu que cet état fut constant et, pour St Thomas, cela constitue comme une sorte de miracle (cf. Sorrune théologique, IIIème partie, question 45, article 2). Il n'empêche que, malgré cela, d'après les Pères de l'Eglise, cette présence divine donnait au visage du Christ une telle sérénité lumineuse que les âmes de bonne volonté se sentaient tout de suite attirées par ce rayonnement. C’est ainsi que St Jérôme, par exemple, explique l'ascendant du Christ sur les premiers Apôtres qui, à son premier appel, ont tout lâché pour le suivre avant même qu'ils aient peut-être été témoins d'aucun de ses miracles (cf. St Jérôme, Commentaire sur l'appel de St Matthieu).
Vous avez peut-être aussi été témoins du changement que peut opérer dans l'état d'esprit d'un milieu de travail, par exemple, l'arrivée d'un nouvel élément, d'une personne qui a vraiment une âme, une âme épanouie, limpide et claire... Toute l'atmosphère, au bout de quelque temps, s'en trouve là aussi changée, améliorée, humanisée...transfigurée...
Voilà le rôle que chacun de nous doit remplir dans le milieu où il vit, dans le milieu où il travaille, dans le milieu même de ses loisirs... " Partout, partout, apportez-y une âme ! " Cela suppose que chez nous déjà l'âme est bien vivante et c'est justement le but du Carême de ressusciter, ou tout de moins de revigorer, notre âme.
Les mortifications du Carême n'ont d'autre but que d'assurer à nouveau la domination de l'âme sur le corps, de remettre à notre bord un commandant...
Que chez nous l'intelligence ne soit pas, comme nous le disions dimanche dernier, simplement au service des instincts, cherchant uniquement comment les satisfaire au mieux, comme c'est le cas chez tant de nos contemporains ... Que notre volonté ne soit pas la simple exécutrice de ce que les instincts, les passions ou l'entourage veulent lui imposer ... Nous deviendrions de simples animaux, mieux doués peut-être, c'est tout, mais nous ne serions pas des hommes et encore moins des chrétiens...
Mais au contraire, nous entraînant pendant ce Carême à commander à notre bord, avivons aussi la lumière de notre intelligence rehaussée par la foi en consacrant quelques instants chaque jour à nous remettre devant les yeux notre idéal chrétien, en relisant et méditant quelques lignes d'Evangile... Alors, oui, nos âmes deviendront lumineuses, claires, limpides ; notre corps lui-même en sera irradié, purifié, embelli, et ce rayonnement assainira fatalement le milieu où nous vivons. Ce ne sera pas " en vain, comme le dit le psaume, que Dieu nous aura dotés d'une âme " (cf. Psaume 24, V.4 dans la traduction latine), partout où nous passerons, nous l'y apporterons et ce sera une transfiguration !