Année C – 5e dimanche de Carême


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

 

Reçu à coup de pierres ... reçu à coup de langues

Les coups de langues font parfois plus de mal que les coups de pierres...
Ils font des blessures bien plus longues à cicatriser...

Avec ces "cancans" comment faire ?

- une vraie communauté ? une vraie famille ?
- une communauté qui suscite l'admiration et attire ?...
- une communauté , une paroisse qui soit "bénédictine" ?

Ecoutez ce que dit saint Jacques : « Comment se servir de la même langue pour louer Dieu et dire du mal du prochain qui est l'image de Dieu... »

- Si vous tous chrétiens qui aimez louer Dieu, vous dites du mal du prochain = hypocrites !
- A plus forte raison, vous, membres de la chorale, qui devez nous entraîner dans cette louange !...
- A plus forte raison nous, qui devons être comme les chefs d'orchestre de cette louange divine !

 Rappelez-vous ce que je vous ai dit : comment aimer Dieu et cracher sur son image (= le prochain) ...

 Avant de " jeter la pierre" aux autres... regardons-nous nous-mêmes...
« Que celui qui est sans péché jette la première pierre... »

Notre attitude de chrétiens doit imiter celle du Christ !

- Il est intransigeant sur les principes : ex : au sujet de l'adultère...
- Mais il est indulgent pour la faiblesse quand on est vraiment honteux et repentant...

 Celui qui tient à sa crasse se fait mettre dehors...
 Celui qui ne veut pas tenir compte des remontrances fraternelles est exclu de la Communauté...

Ainsi, au lieu de "cancaner" sur les fautes du prochain, Jésus nous demande d'essayer de le remettre sur le bon chemin...

Si nous n'osons pas le faire, n'est-ce pas parce que nous avons conscience que le souci de réaliser l'idéal du Christ ne possède pas tous les membres de notre communauté ?...

Alors il faut prier : Dieu seul peut mettre dans la communauté, comme dans les individus, ce souci, ce ressort...

Faisons de notre confession pascale, comme autrefois, une réconciliation avec Dieu certes, mais aussi avec tous les membres de la Communauté...

Accusons plus spécialement les fautes commises contre cette vie de communauté...

Que par le sacrement de Pénitence, le Seigneur remonte en nous tous ce ressort de la charité... La conversion de ceux qui nous entourent en dépend...


HOMELIE

RECEVOIR DES PIERRES, ce n’est certes pas agréable !

Je me rappelle, pour ma part, cette petite paroisse du Morvan, la première dont j'ai eu à m'occuper, une paroisse complètement déchristianisée où il n'y avait plus de prêtres depuis fort longtemps... Lorsque j'arrivai sur le territoire de cette paroisse revêtu de ma bure monastique, les gamins de l'école m'ont poursuivi à coups de pierres... C'était le premier contact, je n'ai pas voulu réagir...

Quelques années plus tard une autre paroisse, celle-là de beaucoup plus importante, m'était confiée dans la région parisienne et certains paroissiens, déroutés peut-être par nos exigences, colportaient sur notre compte bien des médisances et bien des calomnies ! Un dimanche, au sermon, j'évoquais devant eux l'accueil à coups de pierres qui m'avait été fait dans ma première petite paroisse morvandelle et je leur ai dit : « Recevoir des pierres, ce n'est rien, mais subir des calomnies, des médisances, c'est bien plus dur ! » Il semble que cette comparaison ait peut-être ouvert leurs yeux ; en tout cas, à partir de ce dimanche-là, un net changement se produisit dans la paroisse et, environ un an après, le dernier résistant venait se jeter à mes pieds en me demandant pardon...

Est-ce que cette comparaison, mes frères, va nous ouvrir les yeux à nous aussi ?... Des coups de pierres, on y est moins sensible qu'aux coups de langues. Les coups de langues font des blessures bien plus profondes et bien plus longues à cicatriser... Or, combien parmi nous se permettent de dénigrer le prochain ?... de critiquer le prochain ?... de dire du mal qui n'est pas toujours vrai, qui souvent, en tout cas, est fort exagéré ! Tous ces cancans de petit village, quel mal terrible ils peuvent faire ! combien de fossés ils creusent !...

Avec ça, comment voulez-vous que l'on fasse une vraie communauté, une vraie famille ? C'est impossible ! Faudra-t-il alors y renoncer ?

Avec ça, comment voulez-vous surtout que l'on fasse une communauté qui suscite l'admiration ? Si tous ces cancans, toutes ces critiques "en douce" et par derrière, on les trouve chez les disciples du Christ aussi bien, et parfois même – qui sait ? – encore plus que dans tous les autres groupements humains, comment voulez-vous que notre groupe, que notre communauté soi-disant chrétienne attire les gens ? Là encore, c'est impossible ! C'est au contraire un scandale, un obstacle pour tous ceux qui songeraient à rejoindre notre groupe !

Avec tous ces cancans, toutes ces divisions, toutes ces exclusions, toutes ces rancunes..., comment voulez-vous qu'il y ait une vraie paroisse et, qui plus est, une paroisse qui se dit "bénédictine", c'est-à-dire une paroisse qui se plaît à chanter les louanges de Dieu ? Saint Benoît n'est-il pas l'homme de la louange divine ?

Ecoutez donc ce que disait saint Jacques dans sa lettre aux premiers chrétiens « Comment, s'écrie-t-il, comment donc ! c'est avec la même langue que vous bénissez le Seigneur et Père et que vous dites du mal des hommes qui ont été faits à l'image de Dieu ! De la même bouche sortent bénédiction et malédiction ! Non, non, mes frères, il ne faut pas qu'il en soit ainsi. » (cf. Epître de St Jacques, ch. 3, v. 9-1 0)

Ainsi donc, mes frères, si vous tous ici rassemblés tous les dimanches pour bénir et louer le Seigneur, vous avez passé votre semaine à "mal dire" de votre prochain... vous êtes des hypocrites ! Vous n'avez pas le droit d'ouvrir votre bouche pour louer Dieu, à moins de vous repentir sincèrement !

Si entre vous tous, membres de notre chorale qui devez nous entraîner dans cette louange divine, il y a de la "zizanie", des coups de langue, comment, sans vous repentir, auriez-vous le toupet ensuite de venir louer le Seigneur dans cette église?...

A plus forte raison, si nous, vos prêtres qui devrions être les "chefs d'orchestre", si je puis ainsi dire, de cette divine louange, nous ne nous gênons pas pour nous dénigrer ou pour donner des coups de langue sur celui-ci ou celui-là, à plus forte raison, nous ne pouvons pas sans hypocrisie chanter notre office divin... « Il n'est pas pensable que la même langue loue Dieu et dise du mal de son image qui est la prochain ! »

Rappelons-nous tous ce que je vous disais pour vous montrer que l'amour de Dieu et l'amour du prochain ne font qu'un seul et même commandement : « Comment peut-on prétendre aimer Dieu et cracher sur son image ! » Car, oui, c'est la Bible elle-même qui nous le dit : Dieu nous a créés à son image, et Dieu, je pense, n'a pas raté son coup !... Et cette image, quand il s'agit de frères chrétiens, elle n'a pas été simplement bénite, elle a été consacrée par le Baptême ! Si bien que je pouvais vous dire, ce jour-là, qu'à mon humble avis, il était plus grave de cracher sur son prochain, de lui dire des injures ou de mal dire de lui, que de cracher sur un crucifix qui n'est qu'une image morte du Christ, une image au mieux simplement bénite, une image dont la ressemblance avec le Christ n'est pas tellement garantie, tandis que, encore une fois, c'est Dieu, Dieu Lui-même, qui nous a faits à sa ressemblance ; encore une fois, Dieu n'a pas dû rater son coup !

Oh ! je sais bien que chez beaucoup, hélas ! cette image est bien souvent défigurée, abîmée, bien salie... Mais tout d'abord n'en est-il pas de même chez nous, en nous ?...

Puissions-nous aujourd'hui entendre cette parole de Jésus-Christ : « Que celui qui est sans péché jette la première pierre ! » Avant de critiquer les autres, regardons-nous nous-mêmes, et peut-être qu'à ce moment-là nous n'aurons pas l'audace de reprocher aux autres ce que nous-mêmes nous sommes les premiers à faire ! Ou tout au moins nous trouverons tous dans nos vies des points qui "clochent" et, mon Dieu, que nous n'aimerions pas voir dévoilés aux yeux des autres et colportés de bouche en bouche car nous tenons par dessus tout à notre réputation, et nous avons bien raison...

Oui, je le répète, ce qui empêche nos paroisses de devenir de vraies familles, de vraies communauté, c'est cette peste de la médisance, cette peste de la critique : on regarde l'autre, on l'observe et on l'attaque ! Serions-nous nous-mêmes irréprochables ? Dieu veuille que nous comprenions un peu mieux ce matin.

 

Quelle doit donc être, du reste, notre attitude de chrétiens même devant un pécheur ?

Notre attitude de chrétiens doit se calquer sur celle de Jésus-Christ.

La scène qui nous est décrite aujourd'hui dans l'Evangile contraste étrangement avec l'enseignement du Seigneur.

Dans le Sermon sur la Montagne dont nous parlons si souvent ces temps-ci, dans ce sermon où Il nous a donné tout son idéal, Jésus a repris le commandement de la Loi mosaïque : « Tu ne commettras pas d'adultère, tu resteras fidèle à celle ou à celui auquel ou à laquelle tu as juré fidélité. » Et Jésus rend ce commandement plus exigeant encore car il nous dit que la fidélité ne doit pas être seulement corporelle, elle doit aller jusqu'au fond du cœur, elle doit aller jusqu'au regard : « Celui qui jette un simple regard de convoitise sur une femme a déjà commis l'adultère ! » dit le Seigneur (cf. St Matthieu, ch.5,v.28). Et quelques chapitres plus loin (ch.19, v.3-10), Jésus annule, supprime toutes les concessions que Moïse avait pu faire à la grossièreté et à la dureté de coeur des juifs en leur permettant, dans certaines circonstances, de renvoyer leur épouse. Jésus dit : non ! il n'en était pas ainsi dès le commencement et désormais il n'en sera plus ainsi ; et Jésus rétablit la loi primitive, la même exigence, le même idéal de fidélité.

Or voilà qu'après cet enseignement, que ses adversaires avaient bien dit retenir, on lui présente une femme surprise en flagrant délit d'adultère... Que va-t-il faire ? Parce qu'Il voit cette femme honteuse de son péché, humiliée de son péché, Jésus va lui donner son pardon. « Ne pèche plus ! et va en paix. » Quelle attitude !

C'est l'attitude que doit avoir le chrétien ! L'intransigeance absolue sur les principes, il ne s'agit pas de les diminuer, il s’agit de proclamer l'idéal dans toute sa beauté, dans toute son exigence, dans toute sa splendeur, mais ensuite savoir comprendre aussi les faiblesses, les défaillances, dans la mesure où celui qui a eu cette faiblesse, cette défaillance, ne s'en fait pas une gloriole mais en est honteux et humilié. En effet, s'il en est honteux et humilié, c'est qu'il a vraiment conscience d'avoir fait quelque chose de mal et qu'il n'en est pas fier et qu'il le regrette et ne voudrait plus récidiver... Parfois, lorsque dans nos sermons nous, parlons des exigences de la loi du Christ, on nous dit : « Mais alors, vous voulez faire de vos paroisses des communautés de purs ! » Certes oui ! mais ça ne veut pas dire que nous allons chasser de notre communauté tous les pécheurs : nous devrions partir les premiers nous-mêmes à ce moment-là. Nous saurons comprendre vos faiblesses puisque nous sommes faibles nous aussi, mais ce qu'il ne faut absolument pas, c'est accepter que l'on s'encroûte volontairement.

Ce qu'il ne faut. absolument pas, c'est que celui qui a fauté s'enorgueillisse et fasse le faraud...

Ce qu'il ne faut absolument pas, c'est accepter que l'on abaisse l'idéal du Christ au niveau de notre médiocrité... Cela, c'est un péché grave, cela, c'est un péché mortel parce que ça casse en nous le ressort qui nous permettrait de rebondir même après nos faiblesses !

S'il n'y a plus d'idéal, si on se trouve très bien comme on est, si nous érigeons nos défaillances en loi et si c'est ça l'idéal : c'est fini, on s'encroûte, humainement parlant il n'y a plus d'espoir de rebondissement, de résurrection !...

Jésus, nous le savons, ne supporte pas que l'on "s'encroûte " volontairement. Rappelez-vous comment a été traité, dans la parabole des invités au festin, le convive qui avait eu l'audace de se présenter au banquet de noces sans avoir voulu se décrasser, sans avoir voulu revêtir la tenue de politesse... C'était un brave homme qui traînait dans les rues. Il avait été invité tout comme les autres mais il avait voulu garder sa crasse... Et Jésus dit qu'on l'a jeté hors de la salle du festin pieds et mains liés !... Il tenait à sa crasse ! (cf. St Matthieu, ch.22,v.13)

Vous savez aussi ce que Jésus nous dit en ce chapitre 18 de saint Matthieu dans lequel l'évangéliste a groupé les consignes que le Seigneur a données à la communauté de ses disciples : « Si ton frère vient à pécher, va, reprends-le entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes, pour que toute affaire soit réglée sur le dire de deux ou trois témoins. S'il ne les écoute pas, dis-le à l'Eglise et si (malgré toutes ces remontrances fraternelles et malgré les semonces de l'Eglise) il ne veut pas s'amender, alors traite-le comme un païen et comme un publicain », c'est-à-dire, disent les commentateurs, comme quelqu'un à ne pas fréquenter (cf. St Matthieu, ch.18, v.15-18).

Ainsi vous le voyez, d'après le Christ, et saint Paul dira la même chose aux Galates (ch.6, v.1), il devrait régner dans nos communautés, si elles étaient authentiquement chrétiennes, un tel climat de charité, un tel souci de réaliser l'idéal du Christ, que, lorsque quelqu'un d'entre nous a dévié, au lieu d'aller par derrière "casser du sucre sur son dos", nous devrions, selon cette recommandation du Christ, aller le trouver lui-même pour essayer de le remettre sur la voie, et si nous sommes plusieurs à avoir constaté sa faute, au lieu d'en "papoter" sans fin entre nous, nous devrions pouvoir aller le trouver et faire la démarche ensemble. Vous me direz : « Mais comment allons-nous nous faire recevoir ? » Eh oui ! peut-être hélas ! sommes-nous bien loin d'en être là ! Serait-ce un indice que chez nous on puisse se croire membre de la communauté chrétienne tout en voulant s'encroûter dans ses fautes et ses défauts ? que chez nous on puisse se croire membre de la communauté sans avoir, avant tout et par dessus tout, ce souci de l'idéal chrétien ? Alors il nous faut faire pour la communauté elle-même ce que nous devons faire à l'échelon individuel quand nous avons essaye en vain, par tous les moyens, de ramener un frère et qu'il s'y refuse obstinément parce qu'en lui le ressort de l'idéal est cassé, parce que l'idéal n'a plus de prise sur lui : il nous faut prier. Dieu seul peut réparer ce ressort. Dieu seul peut, tant pour les individus que pour les communautés, redonner cet appétit de l'idéal sans lequel toutes nos tentatives pour remettre quelqu'un dans le droit chemin seront vaines, « glisseront comme sur une toile cirée »...

 

Que ces réflexions, mes frères, en cette fin de Carême, nous préparent à notre confession pascale.

Celle-ci, plus particulièrement, doit revêtir un caractère communautaire. Autrefois, c'était à la fin du Carême, le Jeudi Saint, que les pénitents publics qui, par leurs fautes graves avaient déshonoré l'Eglise, la communauté chrétienne et qui en avaient été exclus selon cette prescription du Seigneur, c'était le Jeudi Saint que ces pénitents, après avoir fait l’effort pendant tout le Carême pour se racheter, étaient réconciliés avec l'Eglise, avec la communauté et avec Dieu.

Par nos fautes contre la charité, par nos médisances, nos "cancans", nos calomnies, nous avons, nous aussi, trop souvent hélas ! péché contre la vie de famille et de communauté, nous avons empêché cette communauté de porter ce témoignage de charité, nous avons peut-être été cause que certains ont été écœurés de voir cela chez nous, les chrétiens, et nous avons peut-être ainsi étouffé en eux le désir qu'ils avaient de nous rejoindre...

Insistons sur ces fautes dans notre confession pascale et approchons-nous du sacrement de la Réconciliation pour obtenir du Seigneur qu'il remonte très fort en nous ce ressort de la charité, que ce souci de "faire communauté" devienne pour nous, comme il l'était pour le Christ, une véritable obsession, que ce soit le but vers lequel, comme le disait tout à l'heure saint Paul, nous soyons tendus de toutes nos forces... Si nous l'atteignons enfin, nous aurons atteint le Christ Jésus lui-même : n'est-il pas mort, comme le dit saint Jean (ch.11, v.52), « pour rassembler dans l'unité tous les enfants de Dieu dispersés » ? Et le dernier souhait qu'Il a exprimé à son Père en nous quittant, n'était-il pas que « ses disciples soient soudés dans l'unité afin que le monde reconnaisse qu'Il est l'Envoyé de Dieu » ? (St Jean, ch.17, v.23).

Oui ! de la charité qui régnera ou ne régnera pas entre nous, dépend la conversion du monde !

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