Année A – 33ème dimanche ordinaire


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SOMMAIRE DE L'HOMELIE

Inégalité ? ... Rentabilité ?... Générosité ?...

I. INEGALITE

Le maître répartit les "talents" de façon inégale… Pourquoi ?

1°) pour que nous ayons besoin les uns des autres...
2°) pour que l'égalité (que Dieu veut définitive) ait valeur morale, comme venant de notre libre volonté, qui s'ingénie à mettre les talents reçus au service des autres...

II. RENTABILITE

Le maître veut qu'on double la mise…

Attention à :

- une fausse humilité qui s'efforcerait de croire que « Dieu nous a oubliés dans la distribution… »Ce serait une gifle au Seigneur…
- reconnaître seulement que les dons que nous avons viennent de Dieu - les cultiver - les mettre au service de nos frères.

une fausse conception de la mortification…

- Ce n'est pas une mutilation… Loin de vouloir que nous nous diminuons (ce qui est un péché), Dieu veut que nous fassions valoir les talents qu'Il nous a donnés.
- On émonde seulement la vigne pour qu'elle produise davantage : la mortification est un entraînement pour assurer notre domination, la domination de l'amour de Dieu et du prochain sur nos tendances égoïstes et nos passions…

III. GENEROSITE

Une religion de peur paralyse… On fait le strict minimum pour ne pas se faire attraper (exemple du 3ème serviteur).
Une religion d'amour (à base de prière et de contemplation) nous pousse à être généreux, à se donner à fond…

CONCLUSION :

- Reconnaissons les dons reçus de Dieu
- Remercions-le
- Faisons-les fructifier… et faisons-en profiter nos frères…
- N'ayons pas une religion de frousse, mais une religion d'amour à base, donc de contemplation et de prière…


HOMELIE

INEGALITE ?... RENTABILITE ?... GENEROSITE ?...

Trois réflexions sur cet évangile d'aujourd'hui.

Le première : vous avez, sans doute, été frappé comme moi de la différence qu'a fait le maître en distribuant les talents. A l'un cinq, à l'autre deux, au troisième un seul ! Chacun suivant sa capacité, dit le Seigneur. Et, en effet, si nous regardons autour de nous, nous ne pouvons pas ne pas être frappés de ce que chacun de nous a reçu du Seigneur : les uns sont plus doués, les autres moins ; les uns sont plus doués pour une chose, les autres pour une autre. Pourquoi ?

Il y a d'abord, je pense, une raison : c'est que Dieu veut que nous ayons besoin les uns des autres. Si, chacun, nous avions toutes les qualités, tous les dons, tous les talents, nous pourrions nous suffire à nous-mêmes et vivre recroquevillés sur nous sans avoir besoin des autres. Mais juste parce que le Seigneur nous a donné des dons et des talents différents, nous ne pouvons pas nous passer les uns des autres, nous avons besoin les uns des autres.

Saint Paul exprimait cela de façon admirable dans la première lettre aux Corinthiens, en comparant la Communauté chrétienne à un corps où il y a plusieurs membres et où chaque membre a une fonction bien déterminée. Ainsi « l'œil ne peut pas dire à la main : "je n'ai pas besoin de toi", ni la tête à son tour, dire aux pieds : "je n'ai pas besoin de vous" » (1ère aux Corinthiens, ch.12,v 21). Nos membres se prêtent assistance et s'entraident les uns les autres. Ainsi doit-il en être dans l'Eglise, dans la Communauté chrétienne qui est comme le Corps du Christ…

Cependant, ce qui est surprenant, c'est que, malgré cette inégalité foncière, malgré cette inégalité de départ, Dieu veut l'égalité. J'ai déjà eu l'occasion de développer cette idée devant vous (cf. : Homélie pour le 11ème dimanche ordinaire ). Il n'y a pas de raison pour que celui qui a été avantagé dès le départ ait droit, de ce fait, à un mieux-être sa vie durant, d'autant plus que les chrétiens forment une famille et que, dans une famille, il serait inadmissible qu'il y ait un enfant qui soit avantagé par rapport aux autres, à moins qu'il ne s'agisse du plus petit ou d'un infirme.

Dieu veut cette égalité entre nous parce qu'il veut que notre communauté soit à l'image de la Sainte Trinité et qu'au sein de cette Trinité, chacune des personnes divines est absolument égale aux autres et possède tout en commun avec elles : « Tout ce qui est à Moi est à Toi, disait Jésus a son Père, et tout ce qui est à Toi est à Moi. » (St Jean, ch. 17, v.10).

Mais Dieu, je vous l'ai dit, n'a pas voulu que cette égalité soit "un donné", que ce soit du "tout cuit". Il a voulu qu'elle ait valeur morale, qu'elle soit donc le fruit de notre liberté, le fruit de notre charité, le fruit de notre cœur, si cette égalité était automatique, elle n'aurait aucune valeur, mais si elle vient de notre cœur, de la bonté de notre cœur, de notre souci de vivre fraternellement, de partager avec les autres, alors, c'est tout autre chose.

Voyons donc un peu les talents, tous les dons que nous avons reçus du Seigneur.

Il y a d'abord tous les dons de la nature : il y en a parmi nous qui sont intelligents, il y en a qui sont instruits, il y en a qui sont costauds, il y en a qui ont une santé de fer… il y en a "qui ont la bosse" de ceci ou de cela, comme on dit. Il y en a qui ont eu la chance de naître dans une famille aisée.

Il y a aussi les dons moraux : il y en a qui ont eu la chance d'avoir été élevée dans une famille chrétienne, la chance d'avoir un entourage qui leur donne le bon exemple, qui crée entre eux une émulation : c'est quelque chose, ça !

Et puis, tous les dons spirituels et surnaturels : toutes ces grâces que Dieu nous impartit aux uns et aux autres ; les grâces des sacrements qui établissent une intimité si grande avec Lui, cette connaissance de Jésus-Christ que nous avons la veine d'avoir eue, peut-être depuis notre tendre enfance, et que nous avons pu approfondir au fur et à mesure que nous avons eu la chance de pouvoir le fréquenter, ce Christ !

Tout cela, ce sont des chances, des dons de Dieu. Est-ce que nous en faisons profiter nos frères ? Ou bien est-ce que nous gardons tout cela jalousement pour nous, en avares, en égoïstes ? A ce moment-là, répétons-le, nous volons nos frères puisque Dieu nous a fait ces cadeaux pour que nous les redistribuions aux autres, et nous les gardons pour nous !

Deuxième réflexion : Dieu veut la rentabilité.

Il fut un temps où l'on présentait la morale ou plutôt l'idéal chrétien de façon tout à fait fausse.

La façon par exemple dont on présentait l'humilité chrétienne aurait pu faire croire quelle consistait à nier nos qualités, nos talents, qu'elle consistait à nous diminuer, à nous détruire ! Qu'elle consistait à dire et à se persuader : « Je n'ai aucune qualité ! » Ce n'est pas vrai, ce serait un mensonge. Quel est celui d'entre nous qui n'a aucune qualité ? Qui n'a rien reçu de Dieu ? Ce serait une gifle à l'adresse du Seigneur. Ce serait lui dire : « Vous m'avez oublié à la distribution ! Vous ne m'avez rien donné ! » Or, vous savez, lorsqu'on dit a quelqu'un qui vous a fait un cadeau : « Oh ! peuh… ! qu'est-ce que vous m'avez donné là ... ? c'est de la "bibine", c'est rien du tout... ! », ce n'est pas très flatteur pour lui. Alors, pour nous, il est important de reconnaître les dons reçus de Dieu et de les apprécier à leur juste valeur. Mais de les reconnaître comme venant de Lui, en effet, et de l'en remercier, et de nous demander ce que nous en faisons : en faisons-nous profiter les autres ? Mais aussi, avons-nous le souci de les développer, de les faire fructifier, car vous avez entendu, le maître de la parabole exige que l'on double la mise : tu a eu cinq talents, tu en rends dix ; tu en as eu deux, tu en rends quatre !

Et là, il faut dénoncer une autre façon erroné dont on a présenté trop souvent, la morale chrétienne et, en particulier, le renoncement et la mortification qui restent toujours, même aujourd'hui, au programme. On a en effet, trop souvent conçu cette mortification comme une diminution de nous-mêmes, et ceci est tout à fait à l'antipode de cet Evangile dans lequel le maître, qui n'est autre que Dieu, demande à ses serviteurs de doubler leur mise et attrape sérieusement celui qui, certes, n'a pas diminué la mise, mais l'a seulement conservée telle que. On pourrait même dire, au contraire, que nous péchons chaque fois que nous nous diminuons. Cela offense Dieu, cela lui fait de la peine, si je puis dire. Comme au Père, Il voudrait voir ses enfants s'épanouir et voici qu'au contraire ils s'abîment, ils se diminuent…

Voyez par exemple, l'orgueilleux : il se diminue puisque c'est un parvenu. Il croit que l'on ne peut pas être mieux que ce qu'il est. Par conséquent, il va s'arrêter à ce niveau-là, il ne progressera jamais. Il ne voit pas ses défauts, donc il va s'encroûter, il va faire du "statu quo" ; c'est quelqu'un dont la croissance est terminée, c'est fini.

Un égoïste : son cœur est tout racorni, replié sur lui, à la dimension de sa petite vie. Celui-là aussi se diminue, alors que Dieu lui avait fait un coeur pour aimer tous ses frères…

Celui qui se conduit mal, celui qui ne pense qu'à satisfaire les plaisirs de son corps : celui-là aussi, il se tronque au niveau de son ventre, il se diminue, il se ravale au rang de l'animal et c'est ça qui fait son péché...

Le paresseux : eh bien ! il n'avancera pas, il ne progressera pas, il ne s'enrichira pas, il ne cultivera pas les dons reçus du seigneur c'est cela qui offense Dieu.

Celui qui vit sans Dieu, en qui toute aspiration spirituelle est éteinte, en qui l'âme est étouffée : celui-là aussi, c'est un amoindri et sérieusement !

Mais alors, le renoncement, la mortification ?

Jésus lui-même nous répond : « Tout sarment qui porte du fruit, mon Père l'émonde pour qu'il en porte encore plus. » (Saint Jean, ch. 15, v. 2) Si on émonde, si on taille la vigne, si on coupe certains sarments, c'est pour qu'elle fasse des raisins plus beaux, ce n'est pas du tout pour le plaisir de la saccager. Eh bien ! pour nous, c'est pareil. Quand nous nous imposons un renoncement, quand nous faisons une mortification, c'est pour nous entraîner, c'est pour nous habituer à ce que chez nous, la partie la plus noble, ce qui fait notre personne, notre personnalité, domine sur les instincts, sur le déterminisme. C'est pour que nous restions "maîtres à bord" et que nous ne soyons pas un bouchon ballotté par les flots, ballotté par les impressions, ballotté par la mode, ballotté par je ne sais quel "qu'en dira-t-on", mais que nous arrivions ainsi à rester "quelqu'un". C'est surtout pour que nous arrivions à ce que, chez nous, l'amour de Dieu et l'amour de nos frères commande tout le reste et soit au dessus de toutes ces pauvres tendances égoïstes et de toutes ces passions qui voudraient nous asservir. Ce n'est donc pas du tout, mais du tout pour nous tronquer, pour nous diminuer ! Dieu veut, Jésus vient de nous le dire, la "rentabilité" !

Troisième réflexion.

J'en arrive au troisième serviteur de la parabole : au froussard !

Il était bien ennuyé quand son maître est arrivé, il était bien embêté, surtout quand il a vu que ses camarades rapportaient du surplus. Lui, il avait juste son talent ! Pourquoi n'avait-il pas plus ? Ce n'est pas précisément par flemme, semble-t-il, c'est par frousse, par peur de prendre des risques, surtout par peur, une peur vraiment panique du maître. Les autres étaient tout fiers de pouvoir dire à ce maître : « Vois ce que nous avons fait de ton argent, nous t'en rapportons le double. » Ils avaient cherché, semble-t-il, à lui faire plaisir et sans doute qu'ils l'aimaient. Le troisième, lui, a eu la frousse ; avec ça, on ne fait rien de bon. Celui qui a peu, celui qui est un froussard, il est paralysé. Il s'était dit : « Ouh là ! pourvu que je ne me fasse pas attraper par le maître car il est drôlement dur. » (Il ne pensait qu'à ça). Alors, il a enfoui son talent pour qu'on ne lui vole pas et pour pouvoir dire au maître à son retour : « Le voilà, je ne l'ai pas perdu… » Et, manque de chance, voilà que le maître se met en colère : « Enlevez-lui son talent et donnez-le à un autre qui sache le faire fructifier… »

Et voilà, il y a deux religions :

Une religion de frousse. Voyez-vous, quand il n'y a pas de prière profonde, ni de contemplation, ni de méditation, eh bien ! à ce moment-là la religion c'est quelque chose d'artificiel, c'est du contre-plaqué, ça ne vient pas du cœur. Alors on se l'impose parce qu'on a peur. Combien de gens qui vont à la messe parce qu'ils ont peur de Dieu ? Combien qui ne font pas tel péché parce qu'ils ont peur ? Et la peur engendre l'avarice. On en fera le moins possible. On calculera. Ca, c'est un péché grave : je ne le fais pas parce que je risquerais d'encourir la colère de Dieu ! ça, c'est un petit péché : je me le permets. Cela devient une religion d'épicerie et alors, à ce moment-là, ça devient barbant et, à ce moment-là, on est un peu honteux, d'être chrétien parce qu'un froussard n'est jamais fier. Et si ceux qui ont la foi, si ceux qui pratiquent, passent pour des froussards, eh bien ! ce n'est pas avec cela qu'on va changer le monde, que l'on va conquérir la monde.

Ce qu'il faut, c'est une religion qui parte de l'intérieur, qui parte d'un grand amour. A celui-là, il ne lui viendra pas à l'esprit de manquer le rendez-vous du dimanche, celui-là, i1 ne soupèsera pas les péchés.
il suffit qu'une chose déplaise à Dieu, elle le diminue, lui, pour qu'il ne la fasse pas. Dans la mesure où nous aurons réfléchi, médité sur la beauté, sur la grandeur, sur la tendresse de Dieu, sur tout ce qu'il nous a donné... dans la mesure où nous aurons réfléchi et médité et où nous nous serons rendu compte combien c'est formidable la franchise absolue, combien c'est formidable un amour fraternel, combien c'est formidable quelqu'un qui est maître à bord. Ace moment-là, ça viendra de l'intérieur ; notre religion fera corps avec nous, elle nous tiendra à la peau, ce ne sera pas de l'artificiel, du contre-plaqué, de l'imposé par la frousse... Elle nous poussera à agir, elle nous rendra généreux.

Voilà ces quelques réflexions

Faisons donc le bilan de toutes les grâces, de tous les talents que Dieu nous a donnés, reconnaissons que tout cela vient de Lui et remercions-le.

Voyons ensuite ce que nous avons fait de toutes ces grâces, de toutes ces chances, de tous ces talents qu'Il nous a donnés. Avons-nous eu le souci de les faire fructifier, de progresser et d'en faire profiter notre prochain ?

Enfin, j'espère que nul parmi nous n'aura cette religion avare du peureux, du froussard, mais que, sachant, apprenant dès le jeune âge a prier, à contempler le Seigneur, à l'admirer, nous serons poussés de l'intérieur à ne pas " l'attrister " en nous diminuant, en saccageant tous ses dons, mais que nous aurons à cœur de nous épanouir pour la joie et la gloire de notre Père des Cieux…

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